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F. PAULHAN. — la morale idéale

servira à distinguer le bien du mal, au sens le plus général de ces deux mots ? On sait que Stuart Mill a cru trouver ce fondement dans l’intérêt général, d’autres philosophes en ont proposé des critères différents. Le devoir, la volonté de Dieu, l’évolution ont donné naissance à bien des systèmes. Nous n’en adopterons aucun, les uns n’ont pas pénétré jusqu’au dernier fondement, les autres sont trop hypothétiques, d’autres sont absolument inadmissibles. Mais il faut d’abord bien voir ce que c’est que le critérium objectif de la moralité, ou du bien en général, comment il peut et comment il doit y en avoir un.

Comme c’est de l’idéal au sens le plus général que nous nous occupons ici, il est évident que les beaux-arts et tout ce qui peut donner lieu à un blâme ou à une louange se rattachent à notre sujet. Comment pouvons-nous arriver à formuler raisonnablement un jugement, une opinion sur un acte ou le produit d’un acte ?

« Des goûts et des couleurs, dit un proverbe, il ne faut pas discuter. » Je crois au contraire qu’on peut en discuter, mais cela est peut-être aussi plus difficile que bien des gens ne le pensent. Nous sommes amenés à la question de la relativité du beau et du bien, question mal posée et généralement mal résolue par les philosophes, mal comprise en général par le public.

On sait que le mot de relativité a dans la langue philosophique un assez grand nombre de sens qui se relient sans doute l’un à l’autre, mais ne sont pas identiques. En un sens, le sens le plus général, il est impossible de ne pas accepter la relativité complète de tout ce que nous pouvons connaître ou sentir. Il est bien évident que nos idées du bien et du beau n’ont une valeur et un sens qu’autant que nous les rapportons à l’homme ou à des êtres plus ou moins analogues à lui. Que seraient le bien et le beau absolus en dehors de toute relation avec une conscience, on ne peut se le représenter, et à y bien regarder, la question n’a aucun sens. En ce sens donc, le bien et le beau sont relatifs. Mais cette relativité n’implique nullement que la détermination du bien et du beau se soit soumise à aucune règle générale et que chacun ait le droit de trouver bien ou beau ce qui lui convient. Autre chose est dire que le bien et le beau ne se peuvent concevoir que dans les rapports des objets à une conscience, autre chose est dire que chaque individu peut avoir son idéal propre. Une doctrine, qui dirait que le bien et le beau sont tous les mêmes pour tous les hommes et à toutes les époques, pourrait très bien s’accorder avec la théorie de la relativité du bien et du beau au point de vue métaphysique. Cette dernière question étant donc résolue et laissée de côté, nous pourrons examiner l’autre.

Plusieurs hypothèses se présentent : ou bien le beau et le bien sont