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connaissance, la philosophie de la pratique est relative non seulement au point de vue de la connaissance, mais au point de vue de l’action. La philosophie de l’idéal nous apprend comment les éléments d’un tout quelconque doivent être ordonnés, arrangés, en relation les uns avec les autres, pour que ce tout soit le meilleur possible, la philosophie de la pratique suppose que nous pouvons intervenir dans l’arrangement des parties (beaux-arts, métiers) ou que nous sommes nous-mêmes ces parties (morale). Supposons que nous puissions suivre, dans une autre planète, hors de tous nos moyens d’actions, la marche d’une autre société. Il n’y aura pas à faire de philosophie de la pratique, puisque nous ne pouvons agir, mais nous pouvons nous faire une idée de la façon dont les individus composant cette société devraient agir, pour que leur société allât pour le mieux.

Ainsi la philosophie de l’idéal ne s’exprime pas par des commandements ou des conseils, elle se borne à établir des relations idéales fondées sur certaines lois naturelles existantes, elle est une science dont l’objet n’est que conditionnellement réel.

Mill me paraît avoir confondu aussi la théorie de la pratique et la pratique elle-même. Ici nous allons trouver le véritable domaine de l’art opposé à la science. Faire une pièce de vers est une chose, énoncer les règles de la versification est une autre chose. La première est, à proprement parler affaire d’art, la seconde est affaire de science. Là est la distinction la plus essentielle à mon avis qu’on puisse faire entre l’art et la science. L’art consiste à réaliser les données conditionnelles de la science pratique, que l’on les ait apprises ou non. Un poète, un musicien, un peintre, sont des artistes, un critique est un savant. S’il est artiste c’est en tant qu’il réalise lui-même dans ses écrits les préceptes de l’art d’écrire, à ce point de vue, un savant quelconque peut être artiste, Toute théorie de la pratique est science, toute pratique susceptible d’être mise en théorie est de l’art. Les domaines de l’art et de la science me paraissent ainsi bien délimités, et l’on voit que la philosophie de l’idéal et la philosophie de la pratique et les connaissance systématisées qui en dépendent, rentrent ainsi dans le domaine général de la science (au sens le plus-compréhensif du mot), et non dans le domaine de l’art.

II

Que doivent être cette philosophie de l’idéal et cette philosophie de la pratique ? Comment trouver le critérium général, objectif, qui nous