Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
529
F. PAULHAN. — la morale idéale

sous certaines conditions, qu’elle ferait, si certaines conditions étaient réalisées. Dire par exemple que c’est un précepte de morale de ne pas mentir revient à dire que les hommes ne mentiraient pas s’ils étaient vertueux et s’ils comprenaient bien leur devoir. En un mot, le système tout entier de ce que Stuart Mill entend par l’art peut se transformer en un système de faits donnés comme conditionnels, et en une science réelle, si l’on suppose certaines conditions données. Et, à chaque pas dans les sciences, nous trouvons des suppositions analogues fondées sur l’hypothèse de la réalisation de certains phénomènes. La science ne paraît pas pour cela se transformer en art. On a fait par exemple bien des suppositions sur ce qui arriverait au cas où la terre rencontrerait une comète. Cela est peut-être de la science, à coup sûr, cela n’est pas de l’art. Cependant dans ce cas, le résultat des recherches s’exprime comme il peut s’exprimer dans ce que Stuart Mill appelle l’art, selon le mode conditionnel. On affirme une chose comme devant arriver dans certaines conditions, absolument comme en morale, conditions dont on suppose la réalisation sans s’inquiéter pour un moment de la vérité et de la fausseté de cette supposition.

Il faut remarquer que, si toute proposition impérative peut se transformer en proposition conditionnelle, la réciproque n’est pas vraie, elle n’est vraie que dans le cas où l’homme peut agir sur les phénomènes dont on s’occupe. Ainsi on peut donner à l’homme le conseil de ne pas mentir, parce que mentir dépend de lui (au sens du déterminisme) on peut ainsi convertir en une proposition du mode impératif une proposition du mode conditionnel résultant de l’observation des phénomènes et des suppositions faites sur leur mode d’appréciation. Mais il est impossible par exemple de tirer une proposition du mode impératif des suppositions même fondées qu’on pouvait faire sur les résultats de la rencontre d’une comète avec la terre. Tout cela ne serait possible que si l’on croyait par exemple à l’homme la puissance de changer par la prière le cours des astres. On pourrait alors faire une nouvelle proposition et conseiller par exemple à l’homme de prier Dieu de lui éviter la rencontre d’une comète, si cette rencontre devait lui être nuisible. On voit, en définitive, que les règles de l’art forment une sorte de science conditionnelle, de science idéale, l’art n’est ici qu’un point de vue différent auquel on peut se placer pour envisager certaines choses, il ne s’oppose pas à la science, il se ramène à la science plus vaste que lui.

C’est là sans doute ce qu’a admis jusqu’à un certain point Stuart Mill quand il a dit. « L’Art en général s’empare des vérités de la