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F. PAULHAN. — la morale idéale

nous sous le rapport psychologique, mais soumis comme nous aux lois de la psychologie abstraite. Que manque-t-il à ces êtres imaginaires pour être réels ? La réalisation de certaines conditions d’existence. Or ces conditions d’existence, il est quelquefois en notre pouvoir de les réaliser. Par l’éducation on peut changer jusqu’à un certain point la nature morale de l’homme ; les éleveurs changent et modifient d’après un certain idéal la nature physique des animaux ; nous exerçons également une influence de cette nature sur le monde inanimé. La morale n’est pas autre chose que la détermination de l’idéal humain le meilleur et des règles pour arriver à sa réalisation,

On voit que cette connaissance de l’idéal s’applique à tout objet possible, la connaissance des moyens de le réaliser suppose que l’homme peut agir sur les objets qui donnent naissance à cet idéal. Elle est donc moins générale que la première et forme proprement la philosophie de la pratique, tandis que la première forme la philosophie de l’idéal. Nous pouvons prendre toutefois sans grand inconvénient ce dernier terme pour désigner les deux, tant qu’il ne s’agit que de les opposer à la philosophie du réel et à les distinguer d’elles. Comme la morale se déduit de la philosophie de l’idéal, il convient de s’y arrêter un peu longuement et de déterminer au moins dans les grandes lignes sa nature et ses rapports avec la philosophie positive. Stuart Mill dans sa Logique a essayé de distinguer ces deux ordres de recherches. Sa théorie à côté d’excellentes remarques me parait contenir bien des erreurs et être fausse dans son principe. Je veux l’exposer ici et, en la critiquant, tâcher d’en établir une autre,

« Le mode impératif, dit Mill[1], est la caractéristique de l’art considéré comme distinct de la science. Tout ce qui s’exprime par des règles, des préceptes et non par des assertions sur des matières de fait, est de l’art, et l’éthique ou la morale est proprement une partie de l’art qui correspond aux sciences de la nature humaine et de la société…

… « Mais quoique les raisonnements, qui rapprochent la fin et le but de chaque art de ses moyens, soient du domaine de la science, la détermination de la fin elle-même appartient exclusivement à l’art et forme son domaine particulier. Tout art a un premier principe, une majeure générale qui n’est pas empruntée à la science ; c’est celle qui énonce l’objet poursuivi et le déclare désirable. L’art du maçon pose en principe qu’il est désirable d’avoir des édifices ; architecture (en tant qu’un des beaux-arts), qu’il est désirable de

  1. Stuart Mill, Logique. Trad. L. Peisse, vol.  II, p. 549.