Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
508
revue philosophique

à des poules la plus grande partie de cette substance sans que les oiseaux ainsi mutilés aient cessé d’accomplir d’une façon presque normale des actes parfaitement coordonnés. Cette vivisection fort instructive démontre, avec d’autres plus anciennes, que beaucoup d’actes même assez compliqués peuvent être régis par les centres nerveux inférieurs sans l’intervention de l’intelligence, mais elle ne démontre pas que la substance grise cérébrale soit dépourvue des hautes fonctions qu’on s’accorde à lui attribuer. Il est peut-être difficile en effet, de distinguer une poule imbécile d’une poule intelligente, et il est permis de croire que la demi-douzaine d’idées soustraite à cet animal avec la substance grise de ses lobes cérébraux, n’est pas indispensable à son bon maintien dans les circonstances ordinaires de sa vie.

L’idéation est loin d’être la fonction la plus essentielle de l’économie, et si elle est l’apanage des centres cérébraux supérieurs, ainsi que tout concourt à le démontrer, on conçoit très bien que ces centres puissent disparaître sans que leur perte entraîne celle des fonctions plus directement nécessaires au maintien de l’existence. C’est ainsi que la conservation d’un édifice dépend moins de l’intégrité de ses parties supérieures que de celle de ses soubassements.

Chez l’homme aussi, une perte de substance ou une altération dans la partie périphérique du cerveau permet la continuation partielle d’actes coordonnés, tout en produisant des troubles intellectuels plus ou moins graves, mais plus faciles à reconnaître, en général, que chez les animaux. Un petit abcès dans la partie postérieure de la circonvolution de Broca (3e frontale gauche) entraîne l’abolition du langage articulé. Or un homme quia « perdu les mots » peut être assurément considéré comme ne possédant plus intégralement toutes ses facultés intellectuelles, et cependant cet homme pourra très bien paraître en possession de toute son intelligence dans les circonstances où la faculté perdue par lui ne sera pas indispensable. C’est ainsi que certains aliénés paraissent être sains d’esprit jusqu’au moment où on les fait entrer, en quelque sorte, dans la sphère de leur aliénation. Cependant toutes les facultés intellectuelles se prêtent un mutuel concours, mais il n’est pas toujours facile de savoir si l’une d’entre elles s’est affaiblie, de même qu’il est extrêmement difficile de juger du degré relatif d’intelligence de deux individus normaux.

En définitive, aucun fait ne démontre que la substance grise corticale ne soit pas le siège exclusif des opérations intellectuelles proprement dites. Toutes les autres parties du système nerveux ne ont que des voies communication entre cette substance pen-