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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

teurs, il sait que la musique est impuissante à peindre directement quoi que ce soit et, par exemple, « l’aube qui s’éveille humide et calme. » Ainsi soyons assurés qu’à chaque ligne il admet, bien qu’il le sous-entende, le travail de l’imagination musicale. Ce phénomène psychologique s’accomplit à des degrés divers chez le compositeur, chez l’exécutant, chez l’auditeur, chez le critique. Il sera temps de l’étudier un peu plus tard ; et je l’ajourne, afin de n’en pas parler autant de fois que je vais examiner de timbres instrumentaux distincts. À cette heure, notons seulement que l’imagination musicale de l’auditeur est la faculté de l’esprit qui reconnaît un coup de fusil dans le coup de timbales indiqué par Méhul. Et pourquoi cette même imagination n’entend-elle pas plutôt un coup de marteau ou le choc d’un caillou contre une planche ? Parce que le sujet du morceau est une chasse ? Soit, supposons toutefois que le sujet ne soit pas annoncé : le morceau lui-même nous apprendra qu’il s’agit de chasse. Par quoi ? Par les instruments vocaux, chantants, surtout par les fanfares des cors. Or que l’on n’oublie pas que les cors, qui, d’après M. Henri Helmholtz, ont une analogie intime avec la voix humaine, remplacent ici les trompes de chasse.

Mais il n’est pas impossible de retrouver les origines vocales de la trompe de chasse et par conséquent du cor. C’est par des transformations successives et graduelles que la trompe et le cor sont devenus ce qu’on les voit aujourd’hui. Au xive siècle, la trompe était un cornet très court nommé huschet. Hucher, en vieux français, signifie appeler avec la voix, en criant, quelquefois en sifflant. Je lis dans le traité de La Vénerie de du Fouilloux, qui parut en 1561 et qui est dédié à Charles IX, une série d’exemples de signaux et d’appels au moyen de la trompe et au moyen de la voix. Eh bien, les mêmes termes passent sans cesse de la voix à la trompe et de la trompe à la voix. Ainsi : « Celui qui voudra, étant à la chasse, appeler son compagnon avec sa trompe, doit sonner un long mot ainsi… » Au-dessous, on voit la note ut sur la portée, et, sous la portée, le mot : Tran. Remarquons cette expression : « sonner un long mot. » Parler de la sorte, c’est faire du cor de chasse une voix prononçant une syllabe, la syllabe tran, laquelle se trouve être à la fois un mot et une note. Autres exemples : « Celui qui voudra houpper et appeler son compagnon de la voix doit houpper un mot bien long ainsi : trrrran.… Pour faire revenir les chiens, le piqueur doit les appeler en sonnant de la trompe un son bien long. » Cette fois, c’est bien un son que rend la trompe. Mais ailleurs ce sont encore des mots : « corner en graillant (en trainant) deux ou trois bons mots. » La permutation est constante : la voix peut devenir trompe, mais, trompe devenue, elle