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A. BINET. — l’hallucination

d’achromatopsie, ne distingue pas les couleurs du vêtement ; la malade, quand on lui ferme l’œil droit, n’aperçoit plus qu’une forme grise, qui semble enveloppée dans un léger brouillard[1]. En résumé, l’hallucination de Célestine est bilatérale.

4o Pression oculaire. — La pression mécanique de l’œil dédouble l’hallucination.

5o Prisme. — Le prisme placé devant l’œil droit dédouble et dévie image hallucinatoire. La malade nous dit que Grippeau parait « entouré d’arc-en-ciel », mais elle ajoute quelques paroles confuses que nous ne parvenons pas à comprendre.

6o Miroir. — En plaçant le miroir dans une position convenable, on fait apparaître à la malade l’image réfléchie de son hallucination. On peut s’assurer facilement que cette image réfléchie est symétrique, ce qui est une garantie contre la supercherie. Grippeau a le sourcil droit surmonté d’une cicatrice ; or, si l’on prie la malade d’indiquer le bord du miroir le plus voisin de l’œil surmonté de la cicatrice, elle donne une indication qui prouve que Grippeau lui apparaît dans le miroir avec une cicatrice au-dessus de l’œil gauche. La même épreuve recommencée avec le poignard que Grippeau porte à son côté gauche donne un résultat identique ; l’image réfléchie porte le poignard à droite. Ces faits une fois bien constatés, nous essayons de faire comprendre à la malade qu’il y a désaccord et contradiction entre le Grippeau qu’elle voit directement et celui qu’elle voit dans la glace. Nous essayons même d’insinuer qu’elle cherche à nous tromper. Mais ce soupçon la met hors d’elle, elle nous accuse de sorcellerie, de magie et de physique (à cause du miroir et surtout du prisme dont nous nous sommes servi) et finit par déraisonner complètement.

7o Lorgnette. — La lorgnette rapproche ou éloigne l’image de Grippeau suivant le sens dans lequel la malade s’en sert.

Ainsi, l’expérience démontre que cette hallucination spontanée est absolument de même nature que l’hallucination provoquée artificiellement dans l’hypnotisme. Cette ressemblance tient peut-être à l’existence dans les deux cas de la diathèse hystérique. Partant de là, on pourrait supposer, en outre, que chaque maladie mentale ou nerveuse imprime à ses hallucinations un caractère propre et que l’hallucination hystérique, par exemple, est toujours de cause objective et intéresse toujours tous les sens. Si cette hypothèse se vérifiait, elle fournirait un précieux élément pour le diagnostic dans les cas difficiles, qui sont si fréquents en pathologie mentale.

  1. On n’avait pas encore constaté, croyons-nous, l’influence de l’achromatopsie sur les hallucinations spontanées.