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A. BINET. — l’hallucination

de trouver les choses dans un certain ordre peut se fondre avec l’ordre des impressions que vous éprouvez, produisant sur le moment une illusion des plus comiques sur l’état réel des choses[1]. »

En un mot, le caractère fondamental de ces illusions de l’attente consiste dans l’existence d’une image, ou idée préconçue, qui domine entièrement l’esprit : de là une disposition à interpréter toute impression des sens conformément à l’idée préconçue, de là un besoin de projeter au dehors cette image prédominante. Nous réalisons artificiellement chez l’hypnotique une disposition d’esprit analogue : par la suggestion verbale, nous faisons naître chez cet automate une idée-image qui s’impose d’autant plus facilement qu’elle règne seule sur sa conscience endormie. Lorsque nous disons au sujet d’un ion impératif : « Voilà un oiseau ! voilà un serpent ! » nous produisons un état de conscience qui ne peut être enrayé par aucun état contraire, le sujet ayant perdu le pouvoir d’examiner, de contrôler et de répudier ses idées. Il est dans le même état que la personne dont toutes les forces intellectuelles sont concentrées dans l’attente passionnée d’un événement extérieur ; et, par conséquent, il éprouve le même besoin de projeter au dehors cette image dominatrice, besoin qui se satisfait comme il peut.

Mais tandis que la personne saine d’esprit et éveillée ne se laisse tromper que par une ressemblance réelle, — quoique plus ou moins grossière, — entre ce qu’elle voit et ce qu’elle attend[2], l’hypnotique, au contraire, associe l’image mentale à la première sensation venue. La suggestion extérieure a si peu de part dans ce phénomène qu’on serait tenté de croire que l’impulsion imaginative de l’hypnotique se suffit à elle-même et reste indépendante de toute impression externe, si les expériences du prisme, du miroir et de la lorgnette n’étaient pas une preuve éclatante du contraire.

Donc il n’y a rien dans l’hallucination hypnotique qui ne se retrouve à un degré quelconque dans l’état normal.

On quitte avec peine un sujet aussi attachant. Pour conclure, remarquons que l’hallucination hypnotique offre sans contredit le type le plus parfait de l’hallucination de cause objective ; elle en possède tous les caractères au grand complet, et confirme ainsi de tous points notre théorie des hallucinations.

  1. Illusions des sens et de l’esprit, p. 77.
  2. M. Yung a fait d’intéressantes recherches sur les erreurs produites par l’attention expectante (Sommeil normal et pathologique, p. 134.