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A. BINET. — l’hallucination

La crainte de la simulation est un épouvantail pour les hommes de cabinet qui ne connaissent l’hypnotisme que par ouï-dire. Lorsqu’on est en présence des malades, on parvient facilement à s’entourer de mesures de précaution qui excluent la supercherie[1], Nous pouvons donc entreprendre d’interpréter les phénomènes que l’expérimentation nous a fait connaître, sans crainte de perdre notre temps à étudier une suite de mensonges et de fourberies.

On remarquera tout d’abord l’enchaînement logique des expériences. La première en date et en importance est celle de la pression oculaire. Il est curieux que cette découverte, qui devait servir de principe à toute une série de recherches nouvelles, et qui est le premier exemple d’expérimentation sur les hallucinations, soit restée si longtemps ignorée, et n’ait germé que de nos jours. C’est sir David Brewster qui à le premier remarqué le phénomène de la diplopie hallucinatoire ; les aliénistes, qui ont eu connaissance du fait, se sont d’abord bornés à le répéter, sans rien y modifier. Citons les observations de Paterson, de Despine, de Ball, etc.

L’expérience du prisme, que nous devons à Ch. Féré, n’est, à vrai dire, qu’une simple variante de celle de Brewster. Le prisme produit la diplopie en agissant sur le faisceau lumineux avant qu’il ne pénètre dans l’œil ; tandis que la pression latérale de l’œil arrive au même résultat en déplaçant légèrement l’axe optique ; quel que soit le moyen employé, la diplopie se produit parce que dans les deux cas les deux images ne se font pas sur des points identiques des deux rétines. Il existe donc la relation la plus étroite entre les deux expériences, et avant de constater l’effet du prisme sur une hallucination visuelle dédoublée pas la pression, on aurait pu prédire cet effet à coup sûr. L’expérience de la lorgnette, à son tour, peut être considérée comme un développement de celle du prisme ; prisme et lorgnette ne sont en définitive que des blocs de matière réfringente, et les actions que ces instruments développent sont toujours une application des lois de la réfraction. Enfin le miroir se rattache aux expériences précédentes aussi étroitement qu’en physique les phénomènes de réflexion de la lumière se rattachent aux phénomènes de réfraction. On voit donc, en résumé, que tous les faits relatés découlent logiquement de l’expérience de Brewster. Cette expérience fondamentale les contenait tous virtuellement, comme les propriétés des lignes, des angles et des surfaces contiennent virtuelle-

  1. Lire à ce sujet les judicieuses réflexions de M. Charcot (Maladies du système nerveux, t.  III, p. 20). Ce qu’il faut redouter, c’est moins la simulation intentionnelle du malade que les effets de la suggestion inconsciente.