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A. BINET. — l’hallucination

elle me dit : « J’ai bien des taches de rousseur, mais je n’en ai pas tant que ça. » — Dans une autre séance, je lui fais voir un enfant de quatre ans qui grimpe à un mur. À cette vue, elle se lève avec inquiétude, saisit l’enfant et revient s’asseoir en le tenant dans ses bras. Pendant un quart d’heure, elle causa avec cet enfant imaginaire, ou plutôt, elle lui adressait la parole, mais l’enfant ne répondait pas. Ainsi, elle lui disait : « Pourquoi as-tu peur de moi ? Je ne veux pas te faire de mal ? À qui sont ces beaux cheveux ? Et cette belle robe, etc. etc. » ; puis, après un silence. « Pourquoi pleures-tu ? il ne faut pas pleurer. Tu vas abîmer tes beaux yeux, etc. » Quoi de plus naturel que cet enfant, qui, se trouvant entre les bras d’une étrangère, commence par rester interdit, et fond subitement en larmes ? N’est-ce pas là un détail bien observé, une de ces scènes dont on a l’habitude de dire qu’elles ne s’inventent pas ? On pourrait citer beaucoup d’exemples analogues[1].

III

Dans le récit succinct qu’on vient de lire, nous nous sommes efforcé de donner seulement les moyennes de nos expériences, écartant de parti pris tout ce qui paraissait personnel à l’une des malades, et insistant au contraire sur les phénomènes communs à toutes. Cette précaution n’est pas à négliger, quand on tient à énoncer des faits que tout le monde puisse retrouver en se plaçant dans des conditions convenables.

Ici se place une question très grave, que nous n’avons pas le moins du monde l’intention d’éluder, la question de la simulation. Toutes les fois qu’il s’agit d’hystérie, on doit songer à la simulation. Le besoin de mentir et de tromper sans aucun intérêt, pour le plaisir, est si fréquent chez les hystériques qu’on pourrait en faire un symptôme de cette névrose, au même titre que l’anesthésie et les contractures ! Quelles preuves avons-nous donc de la sincérité de nos expériences ? Ces preuves sont nombreuses. La première à citer, c’est la réalité de l’état somnambulique. Vingt fois nous avons fermé brusquement les yeux de nos somnambules afin de les ramener à l’état léthargique ; et dès que cet état était provoqué, nous avons toujours pu produire les griffes cubitales, médianes et radiales, la rotation de la tête par l’excitation légère du sterno-cléido-mastoïdien, et toutes les autres manifestations de l’hyperexcitabilité névro-musculaire, qui fournissent une démonstration anatomique de la réalité de l’hypnotisme.

  1. Combien d’autres défauts ne pourrait-on pas signaler, qui sont, eux aussi, les symptômes d’un état névropathique spécial.