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cet accord est une complicité. On dit à la malade qu’il y a un chat sur la table : elle le voit ; on lui dit de le prendre : elle le prend, le ramasse dans son tablier et le couvre de caresses ; s’agit-il d’un oiseau, elle l’entend chanter, d’un papillon, elle le saisit délicatement avec deux doigts, puis l’enfermant entre ses mains, elle l’approche de son oreille pour écouter le frémissement d’aile de l’insecte captif. Les fleurs qu’on lui fait cueillir ont une odeur pénétrante qui la ravit. On peut lui servir un repas imaginaire qui lui donnera de délicieuses hallucinations du goût ; et au milieu du festin, il suffira encore d’un mot pour provoquer chez elle des nausées. Bref, les hallucinations de l’hypnotique sont des hallucinations complètes.

Il n’en est pas de même chez un grand nombre d’aliénés : leurs hallucinations n’intéressent souvent qu’un seul sens. Le persécuté entend les injures et les menaces de ses persécuteurs, mais il ne les voit pas (Lasègue). Les hallucinés de la vue ne rencontrent souvent aucune résistance dans les figures imaginaires qui passent devant leurs yeux ; ce sont des corps où, comine disait un malade, « il n’y a rien à toucher. » Le Dr Max Simon me communiquait récemment l’observation d’un jeune homme qui avait eu à son réveil l’hallucination visuelle d’un homme à figure sinistre. « L’image hallucinatoire paraissait d’abord placée : vers le milieu de la chambre, et presque immédiatement elle sembla se précipiter sur le jeune homme qui reposait. À mesure que cette étrange vision approchait du lit, elle grandissait, et l’impression produite fut telle que le jeune homme fit instinctivement le geste de se défendre et donna dans le vide un coup extrêmement violent. »

Ces quelques faits suffisent à nous rappeler que l’hallucination ne constitue point une espèce pathologique unique. C’est un symptôme se pliant au génie propre de chaque maladie. L’hallucination hypnotique est peut-être celle qui donne le plus parfaitement l’illusion de la réalité, parce qu’elle intéresse tous les sens à la fois.

Logique de l’hallucination. Par ce terme un peu vague, nous désignons quelques faits plus difficiles à définir qu’à comprendre. L’hallucination a sa logique, elle se développe de manière à toujours imiter la réalité. Nous ne faisons mention de ce caractère que pour donner au lecteur la physionomie exacte de nos expériences.

Je montre à Wit… son portrait sur une feuille blanche. Cette malade, qui est assez jolie, a le teint semé de taches de rousseur. Dès qu’elle voit apparaître son portrait, elle déclare qu’il n’est pas ressemblant[1] ; et comme je la presse de m’apprendre ce qui lui déplaît,

  1. Mes malades ont toujours été mécontentes de leur portrait.