Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

phénomènes psychologiques ? Elles appartiennent à l’âme ; elles ne sont traduites musicalement que par des intonations vocales de l’orchestre ; et le compositeur accorde à celles-ci, et non à la grosse caisse, le rôle prédominant.

Avouez cependant, — répondra quelque passionné sonoriste, — avouez du moins que ce rôle prédominant revient au gros instrument de percussion, dans le cas où il y a lieu de marquer fortement le rythme. Non, nous n’avouons point cela, ni Berlioz non plus, ni aucun autre théoricien sérieux. Comme ceux qui s’y connaissent, et avec plus de netteté et de précision, Berlioz définit habile emploi de la grosse caisse par rapport au rythme. Elle est, dit-il, d’un admirable effet, si elle n’intervient dans un morceau d’ensemble, au milieu d’un vaste orchestre, « que pour redoubler peu à peu la force d’un grand rythme déjà établi et graduellement renforcé par l’entrée successive des groupes d’instruments plus sonores. » Vous le voyez : ce sont les instruments plus sonores, lisez les instruments plus timbrés, plus vocaux, qui ont déjà établi la force d’un grand rythme ; cette force, la grosse caisse la trouve créée ; elle ne la crée pas, elle ne peut que la redoubler. Et si, par sa survenue, « le balancier de l’orchestre acquiert une puissance démesurée, » c’est, — notez ces vives et belles expressions, — c’est que les groupes d’instruments sonores ont ainsi « discipliné le bruit » de la grosse caisse à ce point « qu’il s’est transformé en musique ». Une fois de plus, ôtez les instruments vocaux, et la grosse caisse reste avec son bruit, qui n’est plus dès lors de la musique pittoresque, puisqu’il n’est plus du tout de la musique.

Dans l’échelle de la musicalité, les timbales sont au-dessus de la grosse caisse. Elles ont un timbre qui se plie à quelques diversités tonales et modales. « De tous les instruments à percussion, — dit Berlioz, — les timbales paraissent être le plus précieux, celui du moins dont l’usage est le plus général et dont les compositeurs modernes ont su tirer le plus d’effets pittoresques et dramatiques[1]. » Et M. Gevaert : « Dans la musique moderne, le rôle des timbales s’est singulièrement agrandi, et elles ont été reconnues susceptibles de produire les effets les plus variés[2]. »

Jusqu’où s’étendent ces effets en tant qu’ils résultent essentiellement du timbre ? Ils sont de deux sortes : l’instrument est tantôt chargé d’un rôle principal et dominant, ne fût-ce que par un trait, même par une seule note ; tantôt d’un rôle secondaire, accessoire.

  1. Grand traité d’instrumentation et d’orchestration, p. 253.
  2. Gevaert, Traité d’instrumentation, p. 104.