Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/487

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
483
A. BINET. — l’hallucination

Mais quelle différence n’observe-t-on pas d’une malade à l’autre dans la manière dont elles subissent l’expérience ! Cad… et Char… constatent simplement que l’objet imaginaire est tantôt près, tantôt loin ; ce changement de distance ne leur suggère aucune réflexion : à moins qu’on ne leur fasse voir une bête immonde, dont le rapprochement leur arrache un cri d’effroi. La nommée Wit…, qui est beaucoup plus intelligente, éprouve chaque fois un étonnement des plus vifs. Comme je lui fais apparaître un oiseau posé sur la branche d’un arbre, elle ne comprend pas du tout que cet oiseau soit pendant un instant tout près d’elle, et l’instant d’après très éloigné. Je lui dis plusieurs fois que l’oiseau change de place, qu’il se rapproche en volant, puis qu’il s’éloigne. Mais elle repousse bien loin cette explication en objectant que l’arbre aussi parait occuper des positions différentes. Je réplique que c’est impossible, que l’arbre a ses racines plongées dans le sol et ne peut quitter l’endroit où il est planté. Alors elle conclut que ce sont ses yeux qui sont malades, et qui changent la distance apparente des objets. Cette conclusion est vraiment très raisonnable, étant donné que la malade ignore qu’on place alternativement devant ses yeux l’oculaire et l’objectif d’une lorgnette.

On peut donner à l’expérience précédente une forme différente, en se servant des hallucinations de portraits. Nous avons déjà dit qu’on pouvait faire apparaître au sujet un portrait sur un carré de papier blanc ; l’image hallucinatoire se fixe en quelque sorte sur ce morceau de papier, si bien que, lorsqu’on renverse le papier, la malade voit le portrait la tête en bas.

J’ai eu la pensée de faire objectiver par la malade, au profit des spectateurs, ce phénomène qui est tout subjectif ; et dans ce but j’ai fait calquer à mes sujets sur du papier végétal les portraits imaginaires, les sujets de tableau, et les dessins de toutes sortes que je leur suggérais. Malheureusement, je n’avais entre les mains que des femmes fort ignorantes, qui ne savaient pas tenir un crayon, et dont l’une ne savait pas même lire. Néanmoins, les calques que j’ai obtenus m’ont paru très supérieurs aux grossiers dessins que ces femmes peuvent exécuter pendant la veille, en travaillant de souvenir. C’est une expérience à reprendre dans des circonstances plus favorables[1].

Quoi qu’il en soit, voici donc un carré de papier qui porte sur

  1. Il serait à désirer que l’essai fût fait par M. Richet, qui parait disposer de sujets instruits et intelligents. Le calque d’un modèle imaginaire n’a pas seulement une sorte d’intérêt artistique, il permet de mesurer le degré de précision que le souvenir acquiert chez la somnambule, lorsqu’on lui suggère l’image d’une personne ou d’un objet qu’elle connaît.