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faire perdre à la malade l’usage d’un œil ou d’une oreille. Dans ce cas, les hallucinations qu’on provoque sont unilatérales ; la malade, atteinte de cette sorte de cécité partielle de cause psychique, ne voit l’objet imaginaire que de l’œil resté normal. Il est de même pour l’ouïe. En résulte-t-il que l’hallucination devienne unilatérale ? Oui, si l’on veut, mais il s’agit là d’un phénomène surajouté. Cette unilatéralité artificielle ne se confond pas avec celle de l’hallucination subjective ; car l’hypnotique atteint de cécité partielle voit l’objet imaginaire comme il voit un objet réel, par un seul œil, tandis que l’aliéné qui éprouve une hallucination unilatérale voit l’objet imaginaire avec un seul œil, et les objets réels avec les deux yeux indifféremment.

3o Interposition d’un corps opaque. — Quand on place un écran entre les yeux du sujet et le point de l’espace ou siège l’hallucination, qu’arrive-t-il ? La vision de l’objet imaginaire est-elle suspendue comme le serait dans les mêmes circonstances la vision d’un objet réel ? La réponse varie suivant les malades.

Chez la nommée Wit… l’écran supprime l’hallucination ; le malade déclare qu’elle ne voit plus rien.

Chez les nommées Cad.… et Charp.… c’est le contraire ; j’ai expérimenté sur chacune de ces deux malades pendant plus de six séances, et toujours j’ai constaté qu’elles continuaient à percevoir l’objet imaginaire malgré l’interposition d’un écran.

Nous devons rapporter, à ce sujet, une observation qui nous parait importante ; chez ces deux dernières malades, l’écran né suspend même pas la perception des objets réels. On leur montre par exemple un chapeau ou un livre placés sur une table voisine ; quand on masque ces objets réels avec un corps opaque, les malades assurent qu’elles les voient encore : elles décrivent la forme du chapeau, elles énoncent le titre du livre. Le même phénomène persiste lorsqu’on mélange en quelque sorte sur le même coin de table les objets réels et les objets imaginaires. Ainsi l’on dit à une de ces malades que sur le chapeau (objet réel) est montée une souris blanche qui grignotte une noisette (objet imaginaire) ; on place un écran devant ses yeux et on l’interroge ; elle déclare qu’elle voit toujours la souris et le chapeau.

Sa réponse est-elle sincère ? Je ne sais pas, et ne vois aucun moyen de m’en assurer ; mais en admettant qu’elle le soit[1], on peut en conclure que la règle des hallucinations énoncée plus haut ne se trouve

  1. Si on tient pour la supercherie, les deux malades doivent être assimilés à la nommée Wit… et leur cas n’offre aucune difficulté.