Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/483

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
479
A. BINET. — l’hallucination

que, cela tient à ce que les hallucinations de l’hypnotisme sont de cause objective, elles sont produites par une sensation venue de l’extérieur exactement comme la perception normale. Il n’est donc pas étonnant que dans ces conditions l’hallucination reproduise les principaux phénomènes de la vision externe. Nous aurons à revenir sur ce point. Voici les expériences :

1o Occlusion des deux yeux. — Pendant que la malade contemple son hallucination, on lui ferme les yeux. Cesse-t-elle de voir l’objet imaginaire ? On ne peut le savoir, car avec l’occlusion des yeux on plonge le malade en léthargie ; un léger bruit laryngé se fait entendre, les membres tombent dans une résolution complète, les hallucinations visuelles deviennent impossibles.

2o Occlusion d’un seul œil. — Cette occlusion partielle produit la léthargie dans le côté du corps correspondant ; l’autre côté reste en état de somnambulisme, et de son œil ouvert la malade continue à voir l’objet imaginaire. L’expérience donne le même résultat, quel que soit l’œil qu’on ferme. L’hallucination hypnotique prend donc naturellement la forme bilatérale ; l’objet imaginaire une fois suggéré est vu indifféremment par chacun des deux yeux.

À ce propos, il y a deux réserves à faire ; mes sujets étaient tous les trois hémianesthésiques, et l’œil du côté hémianesthésique était atteint, plus ou moins, d’achromatopsie : c’est là une règle habituelle, Or, on a reconnu qu’en général l’œil achromatopsique ne perçoit les couleurs ni d’un objet réel, ni, chose plus curieuse, d’un objet imaginaire ; par exemple, on ne peut pas suggérer à une malade, dont l’œil achromatopsique est seul ouvert, la présence d’oiseaux ornés de plumes colorées en rouge, en vert, en bleu. Pour l’œil achromatopsique, les hallucinations colorées ne sont pas possibles[1]. Cette circonstance n’empêche pas l’hallucination d’être bilatérale ; car la malade voit avec l’un et l’autre œil la forme et le contour de l’objet imaginaire ; et de plus, elle perçoit l’objet imaginaire dans les mêmes conditions qu’un objet réel. La règle que nous avons posée reste donc vraie.

Une seconde observation est nécessaire. Pendant que la malade est endormie, si on lui persuade que son bras est paralysé, le bras devient flasque ; si on lui persuade qu’elle a perdu l’usage de la parole, elle devient muette[2]. La suggestion peut tout aussi bien s’attaquer aux fonctions sensorielles ; on peut avec le même succès

  1. Paul Richer, Études cliniques sur l’hystéro-épilepsie, p. 549.
  2. Voir Féré, Les Hystériques hypnotiques comme sujets d’expériences en médecine mentale, Archives de neurologie, 1883. Cet article contient un grand nombre de faits curieux et suggestifs.