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A. BINET. — l’hallucination

tères objectifs, sont-ils présents ou sont-ils absents ? On ne peut le savoir, car personne n’a essayé les effets du prisme et de la pression oculaire sur les apparitions hypnagogiques. Il faut convenir que l’expérience serait difficile à faire ; on ne pourrait la tenter que pendant le moment si fugitif où le dormeur qui ouvre les yeux continue à voir l’image de son rêve.

Dans l’état, et sans rien préjuger de ce que les expériences futures peuvent nous apprendre de nouveau, on peut dire que l’étude des hallucinations hypnagogiques confirme pleinement notre thèse.

Nous avons hâte d’arriver aux hallucinations de cause objective.

La littérature de l’hallucination est immense. Il semble à première vue qu’on n’a qu’à prendre dans la quantité de documents amassés par les auteurs, pour trouver des arguments favorables ou contraires à toutes les théories. Mais un examen plus attentif montre que cette richesse est beaucoup plus apparente que réelle. La plupart des auteurs, écrivant sous la dictée des hallucinés, se sont complus à décrire avec tous les détails les objets et les personnes qui figurent dans les hallucinations ; s’agit-il d’un individu, on nous fait connaître son costume, les traits de son visage, son attitude, ses gestes, etc. Ces circonstances sont celles qui ont le plus intéressé l’halluciné, et qui se sont le mieux gravées dans sa mémoire. Mais que peut-on en tirer pour une théorie des hallucinations ? Absolument rien.

Ce qu’on voudrait savoir, c’est moins la forme particulière que prend l’hallucination, que les conditions dans lesquelles elle se développe : telle hallucination est-elle supprimée par la fermeture d’un seul œil ou des deux yeux ? A-t-elle toujours la même localisation dans l’espace ? Est-elle empêchée par l’interposition d’un corps opaque ? Suit-elle le mouvement du regard, etc. Les observations sont la plupart du temps muettes sur ces questions intéressantes. Celles qui sont plus explicites ne donnent d’éclaircissements que sur un point, et passent sous silence tous les autres. J’ai beaucoup lu, je n’ai pas trouvé une seule observation complète, et ne vois guère à citer que celle de Paterson[1].

Un jeune étudiant en traversant un jardin aperçut un fantôme drapé d’un large manteau bleu, qui se tenait sons un arbre, à peu de distance. L’hallucination était, comme on le voit, localisée dans un point fixe de l’espace. Cette localisation persista, car « une demi-heure après, en allant de la maison au jardin, il vit la même figure sous le même arbre, dans la même attitude. » À ces carac-

  1. Annales médico-psycholo., t.  III, p. 43.