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l’orchestre. Donc voilà un timbre qui particularise à un certain degré l’expression musicale. Mais il ne la particularise pas assez, puisque, on vient de le voir, il laisse hésiter l’esprit entre six ou huit significations différentes, quoique voisines. Que fait donc, instinctivement ou avec réflexion, le compositeur qui cherche l’expression claire et nette ?

Par exemple, il désire que la grosse caisse exprime un coup de canon et non pas un coup de tonnerre : on pourrait aisément s’y tromper. Il appelle à son secours les instruments qui, joints à la grosse caisse, feront naître l’idée d’une bataille ; parmi ceux-ci, la trompette aura son rôle : or la trompette est bien plus timbrée, bien plus vocale que la grosse caisse. Ainsi ce sera l’instrument plus timbré, plus vocal qui apportera à l’autre la détermination qui lui manque. Renversons l’exemple : qu’il s’agisse de donner l’idée non d’un coup de cañon, mais d’un coup de tonnerre ; le compositeur, j’imagine, représentera une tempête par l’agitation des instruments à cordes signifiant le bruit tumultueux des éléments troublés, et, par moments, un trait de petite flûte simulera le sifflement plus aigu de l’aquilon. On saura de la sorte, du moins à peu près, qu’on a affaire à une tempête, au lieu d’assister musicalement à une bataille. Mais, cette fois encore, ce seront les instruments les plus timbrés, les plus vocaux qui auront caractérisé, défini le son de l’instrument moins timbré et imprimé la détermination d’une forme plus précise à la sonorité plus vague du gros instrument. Il semble donc bien, d’après cette analyse, que sans l’intervention des instruments timbrés, vocaux, bref psychologiques, le pauvre instrument à percussion, malgré son timbre particulier, resterait incapable de se faire comprendre et, par conséquent, ne serait pas du tout pittoresque. En effet, même pour un trait rapide, pour un épisode simple et passager, le paysage musical est forcé d’appeler à son aide les organes sonores que nous avons déjà si souvent démontré être des voix.

Si Berlioz ne s’est pas servi des mêmes expressions que nous, il a évidemment pensé ce qui vient d’être dit. Dans son Requiem, il à employé la grosse caisse d’une certaine façon, — c’est lui-même qui en avertit, — pour susciter l’idée « des bruits étranges et pleins d’épouvante qui accompagnent les grands cataclysmes de la nature ». Or s’est-il contenté à cette fin de la grosse caisse frappée des deux côtés et fournissant une succession de notes assez rapides ? Pas du tout, Il y a associé des roulements de timbales à plusieurs parties, ce qui est un acheminement vers la tonalité et vers la vocalité. Mais bien plus : il a écrit une orchestration où dominent les accents de terreur, d’épouvante. La terreur, l’épouvante sont-elles oui ou non des