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VI, 957, ne partage pas ce préjugé populaire, que les grandeurs psychiques ne sont pas mesurables  ; mais il nie qu’on puisse lui appliquer un étalon de mesure  ; parce que nous sommes à peu près dans cette situation où, ayant une mesure de longueur, nous saurions que les unités qui la composent sont différentes les unes des autres et que nous n’avons aucun moyen de les réduire à un type unique. Toutes nos mesures physiques reposent sur une mesure d’espace, de temps et de masse et pour les trois, il faut cette condition que l’égalité entre les non-identiques ait un sens clair. Quelle que soit celle qu’on choisit, on en revient toujours à une quantité de temps, d’espace ou de masse, dont les unités sont univoques. Il n’en est pas de même pour la mesure des grandeurs psychiques intensives. Soit une série de sensations , on ne peut pas dire que le changement de , égale celui de , car l’égalité manque ici. Conclure que le changement d’impression de 2 livres à 3 livres égale celui de 10 livres à 15 livres n’est pas permis.

D’un autre côté, Boas (Archives de Pflüger, t.  XXVIII, p. 566) soutient que les différentes intensités lumineuses ne sont pas plus comparables entre elles que les différentes qualités sensorielles, dont il conclut que les différences intensives ne sont qu’une forme des différences qualitatives. En somme, malgré des différences, Kries et Boas s’appuient sur une prétendue impossibilité de comparer des changements de sensations qui occupent divers points dans l’échelle d’intensité.

Examinons de plus près les conditions de la mesure physique. On ne remarque pas d’ordinaire que toutes les mesures de temps supposent l’invariabilité de la durée dans certains phénomènes naturels qui reviennent régulièrement (rotation de la terre autour de son axe, etc.)  ; mais cette invariabilité n’existe au sens absolu dans aucun mouvement physique. On suppose aussi dans les lois naturelles, une constance absolue qui n’existe pas. Nous ne pouvons pas comparer deux quantités de temps, comme deux quantités d’espace, en les superposant  ; tandis que la mesure pour l’espace repose sur l’intuition directe, pour le temps et par suite pour la masse, la vitesse, la force etc., outre l’intuition, il faut encore faire entrer en compte les hypothèses précitées. — L’auteur examine ensuite le cas où des grandeurs intensives sont transformées en grandeurs extensives de temps et d’espace  ; comme cela arrive pour la mesure des intensités sonores et lumineuses. Ce procédé repose sur l’hypothèse de la validité d’une loi déterminée de la nature, qui nous présente un phénomène de mouvement objectif comme fonction de conditions spatiales déterminées, par exemple la force vive des vibrations lumineuses comme fonction de l’éloignement d’une source de lumière. Outre cette hypothèse, il y en a encore une autre, psychologique, qui est admise implicitement  : c’est que l’état de notre conscience est suffisamment constant pour permettre de distinguer l’égalité ou l’inégalité des sensations dans les divers temps.

Les mesures psychiques se rapprochent des mesures d’intensité  : ce qui les caractérise c’est ce point essentiel qu’il ne s’agit pas seule-