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nomie véritable des Hellènes en philosophie et pour rejeter la thèse contraire, soutenue notamment par Gladisch en 1844.

Il fait toutefois deux réserves : l’une relative aux emprunts des premiers ioniens aux cosmogonies et aux doctrines barbares, l’autre relative à une certaine marque que les voyages de Platon auraient, suivant lui, imprimée au génie du disciple de Socrate.

Sur le premier point, je partage entièrement l’opinion de M. Huit ; j’ai d’ailleurs essayé déjà, dans diverses études publiées ici même, de préciser quels ont été les emprunts faits à l’étranger par Thalès et par Anaximène, et de montrer, d’après Teichmüller, quelle a été l’influence de l’Égypte sur Héraclite. Quant à Platon, ce que dit M. Huit me paraîtrait au moins avoir besoin d’être particularisé et spécifié. Il parle en général « d’une profondeur de sentiment rare », « d’un attrait pour le mystérieux et le surnaturel, attrait inconnu à la Grèce d’Homère et de Phidias. » Mais ces mêmes caractères n’apparaissent-ils pas chez Héraclite et chez les pythagoriciens ? En tout cas, M. Huit nous doit des distinctions et des preuves à l’appui.

Son travail laisse en résumé une impression d’ensemble avantageuse ; toutefois, quoiqu’au courant des travaux récents, il ne semble pas prendre la question au point où ils l’ont amenée, mais la considérer comme elle était posée il y a trente ou quarante ans. Certaines retouches pourraient être utiles à ce point de vue.

Il y a aussi quelques taches faciles à faire disparaître : ainsi page 242, Xénophon semble compté parmi les socratiques réfugiés à Mégare, ou bien, page 543, les mages sont confondus avec les Chaldéens.

Mais je préfère terminer en indiquant à M. Huit un sujet particulier d’études dans l’histoire postérieure du platonisme ; il a longuement rappelé la tradition des premiers Pères de l’Église chrétienne, qui, après Philon le Juif, faisaient de Platon le disciple des prophètes hébreux. Or il est bien certain que, avant de s’helléniser à Alexandrie, les Juifs n’avaient aucune philosophie, et l’on sait de même qu’ils ont prétendu retrouver dans leurs livres saints tout ce qu’ils ont jamais fait en philosophie. Mais si M. Huit admet avec M. Burnouf qu’on peut attribuer aux doctrines religieuses et philosophiques de l’Inde un rôle dans le développement de l’école juive d’Alexandrie, il admet certainement aussi que le platonisme a joué un rôle beaucoup plus important, et il ne manque pas, bien entendu, de le constater chez Philon. Il me paraîtrait très intéressant d’approfondir la nature de ce rôle avant Philon et d’essayer de déterminer si ce platonisme n’a pas eu une certaine influence sur l’évolution de l’idée religieuse chez les Juifs à partir de l’extinction du prophétisme, par conséquent aussi et par là même, une certaine influence sur la constitution première du christianisme, bien avant l’intervention des platonisants comme saint Justin, etc.

Paul Tannery.