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LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

un son indéterminable, par conséquent rebelle à la tonalité et à la modalité, ne donnant qu’une note, n’offrant de différences que dans l’intensité, En d’autres termes, ce timbre est aussi peu un timbre, aussi peu une voix que possible. Il ne s’élève donc qu’à peine au-dessus de la catégorie des bruits. Facilement il y retombe. D’où il résulte que, s’il prédomine, le bruit règne en maître, et adieu la musique ; il ne reste plus, comme le dit Berlioz, que de la sonorité brutale. Donc, si la musique pittoresque employait exclusivement où indiscrètement l’instrument appelé grosse caisse, cet élément pittoresque tuerait net l’élément musical. Chose singulière, voici un moyen pittoresque, qui, même dans son rôle, ne peut rendre service qu’à force de modestie et de discrétion. Sa qualité, sa vertu essentielle doit être de parler rarement et presque toujours très bas. Mais alors il est évident que son pouvoir expressif se réduit à peu de chose.

Ce pouvoir n’est pas nul cependant ; mais à quelles conditions ? Sur ces deux points, Berlioz va nous instruire. Nous aurons ensuite à vérifier ses assertions.

D’après Berlioz, le son de la grosse caisse ressemble quelquefois à un coup de canon lointain ; d’autres fois, le timbre de cet instrument donne l’idée des bruits étranges et pleins d’épouvante qui accompagnent les grands cataclysmes de la nature. L’habile sonoriste nous dit que le pianissimo de la grosse caisse seule est sombre et menagant, et si l’instrument est bien fait, semblable à la détonation, dans l’éloignement, d’une pièce d’artillerie. Ici, l’assertion laisse désirer une analyse explicative. En effet, le pianissimo de notre gros tambour ne ressemble pas uniquement à un coup de canon lointain ; même seul, il rappelle tout aussi bien soit le ressac de la mer dans les anfractuosités de la côte, soit la chute d’un rocher au fond d’une vallée, soit l’explosion d’une fabrique de cartouches, d’une poudrière, d’un atelier de pièces d’artifice, d’un magasin de produits chimiques, soit enfin un éclat de tonnerre, toujours dans le lointain. Et la preuve, c’est que, lorsqu’un de ces bruits formidables retentit, on ne sait au juste quelle en est la cause et l’on va la demandant de tous côtés. Comment un bruit qui par lui seul ne se définit pas dans la réalité se définirait-il par lui seul dans la musique où l’on entend non ce bruit lui-même, mais seulement un son analogue à ce bruit ?

La vérité est qu’il a besoin d’être défini, caractérisé par d’autres sonorités dont nous devons marquer la nature. Si pauvre qu’il soit, le timbre de la grosse caisse évoque par analogie, redisons-le, six ou huit sortes de grands bruits particuliers. Cette évocation lui est tout à fait propre : on s’en assure en essayant, mais en vain, d’éveiller l’idée de ces mêmes bruits au moyen de quelque autre instrument de