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l’âme et la liberté humaine, enfin l’immortalité de l’âme. Puis il développe les bases de sa théorie morale ; qui viennent s’appuyer, à leur tour, d’une façon immédiate, sur le sentiment intime. La deuxième partie de la Profession de foi traite de la religion positive. Elle est analysée par M. Borgeaud avec le même soin, le même scrupule d’intelligence exacte que la première.

Il s’agit maintenant d’expliquer la position de Rousseau et de montrer la place qui lui revient dans l’histoire de la philosophie religieuse. M. Borgeaud y consacre un long chapitre, où il traite successivement : des dogmes de la religion naturelle chez Rousseau, de sa méthode, de sa position relativement au problème du mal, de sa morale, de sa position à l’endroit du christianisme. À ce chapitre est joint un appendice sur la manière dont Rousseau a conçu la prière, et sur sa notion d’une religion d’État. Suit la transcription, d’après un manuscrit inédit, du premier projet du chapitre De la religion civile dans le Contrat social.

Le troisième et dernier chapitre est intitulé : Rousseau envisagé comme philosophe religieux. Après avoir entouré la pensée du philosophe genevois de tous les éclaircissements que peut fournir une connaissance approfondie de son temps, des circonstances de sa vie, des diverses influences littéraires et philosophiques qu’il a subies, M. Borgeaud lui assigne une place au seuil de la philosophie allemande. Cette place, Rousseau la mérite par la doctrine qui est la base de sa théologie et de sa morale, la doctrine du « sentiment intérieur », forme première de ce dont Kant a fait la « raison pratique ». Rousseau à subi sans doute l’influence du déisme anglais, mais il s’en est affranchi par une théorie qui lui est propre, qu’il est arrivé à dégager par un effort personnel raisonné et conscient. S’il est, d’une part, le précurseur de Kant, il est, de l’autre, le premier champion d’une philosophie religieuse qui fonde le christianisme sur la base du sentiment.

Il ressort incontestablement de l’étude de M. Borgeaud que la philosophie religieuse de Rousseau a été jusqu’ici très incomplètement comprise. Il y a dans cette partie de son œuvre infiniment plus de cohésion et de portée qu’on n’est tenté généralement de l’admettre. Heureux les hommes qui ouvrent à leurs contemporains des vues nouvelles sur plusieurs des grands problèmes de leur temps ! Non seulement l’auteur de J. J. Rousseau’s Religionsphilosophie écarte d’évidentes erreurs d’interprétation devenues traditionnelles, et dissipe, à la lumière d’une enquête rigoureuse, de prétendues contradictions, trop facilement admises par amis comme par adversaires, mais il restitue à l’auteur de l’Émile un des titres qui pourront lui faire le plus d’honneur aux yeux de la postérité. Ce n’est pas de assez dire qu’il ne sera plus permis de traiter de la philosophie de Rousseau sans avoir lu le mémoire de M. Borgeaud ; nous estimons que ses conclusions, pour si nouvelles qu’elles puissent paraître, s’imposent dans leur ensemble à quiconque refait avec lui la route où il a eu l’heureuse idée de s’engager.

Nous demandons à l’auteur de nous donner une édition française de