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ANALYSES.lazarus. Sur l’attrait du jeu.

arts plastiques ou la poésie elle-même, à moins qu’elle ne soit jouée (p. 22) ; p. 44, il dit que ce Spieltrieb est de la vieille philosophie, et p. 140 et suiv. il y revient plus longuement à propos du théâtre, rangé dans les jeux, comme l’indique d’ailleurs son nom allemand (Schauspiel).

Dans nos travaux sérieux, dans ceux que nous impose la carrière que nous avons choisie, nous poursuivons un but ; dans le jeu, le but poursuivi est nul, ou plutôt il n’est que dans le libre jeu de nos facultés, comme ce libre jeu se manifeste aussi dans la production du beau. Le jeu tient dans notre vie une place importante. Leibnitz et Jean Paul en ont constaté l’utilité et la nécessité, ce dernier en termes qui avaient besoin d’être expliqués, comme cela arrive souvent chez lui « L’homme, dit-il, doit entendre la plaisanterie, c’est-à-dire le sérieux » (voir l’explication p. 7). Kant (p. 96), raconte son biographe Iachmann, faisait souvent sa partie d’hombre et y voyait un utile exercice de l’intelligence et un moyen d’arriver à être maître de soi, donc un moyen de cultiver la moralité ; mais, ajoute malicieusement notre auteur, Iachmann était peut-être le seul à ignorer qu’il s’agissait avant tout, pour Kant, a oublier un instant les idées de la raison pure et de la raison pratique, « le jeu faisant le même effet que le sommeil. » Hegel ne laissait point passer de jour sans faire sa partie. L’innombrable littérature qu’ont enfantée les jeux parle plus haut que tout cela. M. Lazarus (p. 3 et suiv.) en a fait le relevé de 1857 à 1875, pour l’Allemagne seule ; il engage d’autres à se livrer au même travail de statistique pour d’autres pays. Pour mieux faire ressortir l’éloquence des chiffres, il les a comparés à ceux d’une autre branche de la littérature qui n’intéresse guère la santé à un moindre degré que le jeu, l’hygiène ou la diététique ; sauf la période de 1866 à 1870 (il indique pourquoi), le jeu tient de beaucoup le haut du pavé[1].

L’étymologie du mot jeu que M. Lazarus examine dans diverses langues montre pourquoi chez différents peuples la notion en était forcément plus restreinte que chez d’autres ; ainsi le παίζειν grec n’indique pas la nature de l’activité déployée, mais la personne qui la déploie ; « le jeu, c’est ce que font les enfants, » tandis que le vieux mot allemand spilan désigne un mouvement léger, flottant, comme celui d’un jet d’eau (p. 20), et, selon notre auteur, est le plus propre à exprimer la vraie nature du jeu.

M. Lazarus examine successivement ses trois (ou plutôt quatre ; divisions des jeux : les jeux de hasard et ceux de l’intelligence (cela en fait deux) ; les jeux d’exercice et les spectacles (Schauspiele), rentrant dans une division plus générale, qu’il appelle (Idealspiele).

Il sait relever d’ailleurs des sujets qui ne paraissent que futiles

  1. « Sur le jeu d’échecs seul, la bibliothèque du Hollandais M. de Linde contient 1 200 ouvrages, et il m’a assuré que cette littérature dépasse le chiffre 2 000 ».