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serait malaisé de prouver que c’est un avantage d’accumuler des richesses si l’humanité décline, d’avoir de beaux vêtements et de belles manières, de remplacer les tranquilles villages par les interminables faubourgs poudreux de nos villes. Et les gens qui habitent ces monotones faubourgs sont-ils en réalité plus nobles, meilleurs, plus heureux que les simples villageois qu’ils ont remplacés ? Ils lisent des journaux en se rendant rapidement, par le chemin de fer, à leurs sombres bureaux d’affaires où a lumière directe du jour pénètre à peine, le soir peut-être un journal à scandale ou un roman à sensation, lorsqu’ils sont revenus de leur monotone travail à leur triste maison ; mais sont-ils en réalité mieux ou même aussi bien cultivés moralement que leurs grand-pères qui allaient à pied à leur ouvrage, n’avaient pas de journaux et n’avaient d’autre livres que la Bible et deux ou trois ouvrages de piété ? Après tout, un acte héroïque de sacrifice est une chose plus noble, plus civilisatrice que d’envoyer instantanément une dépêche de Londres à Hong-Kong » (pp. 210, 211).

Nous ne pourrions sans multiplier les citations suivre l’auteur dans son étude sur « certains produits mentaux de l’évolution » : la règle de la morale, la croyance en l’immortalité, la croyance en Dieu. Il serait facile de trouver beaucoup de passages intéressants, notamment sur l’impératif catégorique, qui est toujours obligé dans la pratique de descendre de ses hauteurs pour tomber au critérium vulgaire de l’utilité commune (pp. 181, 195) et qui n’a, quoi qu’on dise et qu’on fasse pour établir le contraire, qu’une valeur tout humaine.

III. La troisième partie est consacrée au moins autant à la pathologie du sens moral qu’à celle de la volonté. Une thèse ingénieuse à laquelle l’auteur revient souvent (et qu’il avait d’ailleurs indiquée déjà dans plusieurs passages de sa Pathologie de l’esprit), c’est que la dégénérescence agit surtout sur le sens moral, parce qu’il est le dernier produit de l’évolution et à ce titre le plus instable.

Le premier chapitre est consacré à décrire la dégénérescence en général et à montrer comment la loi de la survivance des plus aptes amène, dans certains cas, une rétrogradation fatale, les moins bien doués se trouvant mieux adaptés aux conditions d’existence, et comment souvent la civilisation fait des brutes « plus brutes qu’à l’état de nature » (p. 142).

La suite traite de l’absence congénitale de sens moral et de volonté, de la dégénérescence du sentiment moral et de la volonté dans les maladies, du sens moral et de la volonté chez les criminels, des désordres de la volonté dans la folie, enfin de la désintégration du moi.

Nous signalerons seulement le point indiqué plus haut, c’est-à-dire l’innéité des instincts immoraux et anti-sociaux et leur stabilité par rapport aux tendances antagonistes. Il en trouve (p. 251) une première preuve chez l’enfant. Dès que le pouvoir d’inhibition lui fait défaut pour une raison quelconque, vous voyez les plus mauvais instincts se donner libre carrière, les instincts fondamentaux de la nature animale, « Une