Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
453
ANALYSES.h. maudsley. Body and will.

un développement d’énergie à leurs dépens, qui absorbe et transforme leurs énergies (p. 171). Au lieu de nous parler avec emphase d’un sentiment moral inné, d’une intuition du juste et de l’injuste chez l’individu, d’un impératif catégorique, li serait plus sage d’observer les exemples de moralité tels qu’ils se présentent actuellement dans la nature, chez l’enfant, le sauvage, chez des animaux comme le chien. On verrait notamment qu’il y a de très grandes différences entre les hommes quant à l’innéité des aptitudes morales, autant qu’il peut y en avoir pour l’aptitude à la géométrie ou à toute autre chose.

Pour réduire les impulsions égoïstes à cette fusion nécessaire à la naissance du premier sentiment social, il est clair qu’une pression formidable a dû s’exercer sur les individus ; des agente terribles ont été inventés : puissances surnaturelles, rites sociaux, coutumes sacrées Superstitions de toute sorte, et, pris dans cette machine dévorante, l’individu n’a ni la force ni souvent l’idée d’en sortir. De nos jours, nous voyons à l’œuvre un pareil processus social dans certaines classes d’hommes, pour les contraindre à agir ensemble. Telles sont les Trades-Unions, la Land-League irlandaise et le reste.

Ce n’est pas d’ailleurs que, dans le progrès né de ces durs commencements, l’auteur pense que tout ait été pour le mieux et que l’humanité n’aurait pas pu arriver au même but avec de moindres douleurs (p. 129), ni qu’il partage les illusions de beaucoup de contemporains sur l’avenir. À l’encontre de l’opinion du jour et des idées courantes, M. Maudsley ne croit ni que les progrès moraux aient été bien considérables, ni que la science ait une grande efficacité pour les produire, — préjugé pourtant si répandu.

« La science par elle-même n’est pas nécessairement bonne, elle est certainement une puissance pour le mal autant que pour le bien. Une fraternité fondée sur la science seule serait un édifice sans ciment, Et il est bien remarquable à cet égard que les trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islamisme, ont ont été hostiles à la science, par un instinct juste et profond.

« Ceux qui sont assez enthousiastes pour croire à la régénération directe de la société par l’action directe de la science, et qui la jugent un si grand bien que les meilleures intelligences du jour doivent s’absorber dans les plus petits détails d’une science spéciale, feraient peut-être bien de démontrer au monde qu’il est plus moral de voyager à raison de cinquante milles à l’heure derrière une locomotive que de faire dix milles à l’heure dans une diligence. Un effet des grands progrès modernes dans l’industrie, les arts, les divers genres de bien-être matériel a été certainement d’engendrer beaucoup de désirs nouveaux d’ordre égoïste, dont la satisfaction ardente et immédiate est une source de corruption. A-t-elle fait beaucoup ou même quoi que ce soit pour compenser ce développement d’égoïsme ? La science n’a-t-elle pas plutôt affaibli la religion, cette grande force de contrôle qui autrefois tenait l’égoïsme en échec, Sans mettre aucune force altruiste à sa place ? Il