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l’original, c’est une singulière ingratitude pour tout ce qu’il doit au corps » (p. 77). La notion abstraite d’une identité métaphysique a paralysé l’observation positive, a coupé court à toutes les recherches, a empêché de chercher les explications là où il était possible de les trouver,

Le chapitre entier n’est qu’un plaidoyer long et pressant en faveur de cette thèse, et M. Maudsley montre comment le moi subit toutes les variations de l’organisme, combien est puissant le sentiment du libre arbitre dans la vigueur de l’âge, combien faible dans la maladie et la décrépitude, et, à l’heure où s’approche l’ombre de la mort, combien l’idée d’activité est répugnante. Laissez-moi en paix : tel est le cri instinctif des facultés expirantes.

Pour conclure, l’auteur trouve dans tout acte de détermination volontaire deux éléments : la conscience d’une énergie ou d’un effort ; un sentiment distinct de satisfaction en faisant cet effort : ce dernier élément étant probablement l’expression du désir de s’affirmer soi-même selon l’instinct fondamental de la conservation personnelle.

II. Malgré son titre, la seconde partie est en grande partie consacrée à des questions morales et sociales. Elle s’ouvre par un chapitre sur la base physiologique de la volonté, que l’auteur (et nous sommes heureux sur ce point de nous rencontrer avec lui) réduit à deux éléments essentiels : l’acte réflexe, l’inhibition.

Après ce préambule, M. Maudsley entre dans l’étude de « l’involution et de l’évolution ». Ce processus d’involution, auquel il paraît tenir beaucoup et qui est, dit-il, nécessaire, parce que l’enveloppement doit précéder le développement, parce qu’une parcelle de protoplasma, par exemple, a eu besoin pour se former de l’union « de conditions immanentes et influentes », ne nous semble point d’une nécessité incontestable, et, dans la théorie ordinaire de l’évolution, un simple processus de développement suffit à tout expliquer. L’auteur, en fin de compte, entend l’évolution à peu près comme tout le monde.

Dans un bon chapitre, intitulé « Fusion sociale des égoïsmes », il montre avec beaucoup de force comment l’homme est devenu un être sociable en dépit de lui-même, par la répression des passions égoïstes, sous le poids de la nécessité, — répression de l’égoïsme individuel, qui s’opposait à la formation de la tribu ; de l’égoïsme des tribus, qui s’opposait à la formation de la nation ; de l’égoïsme des nations, qui s’oppose encore à une fédération de l’humanité. L’égoïsme est une matière à façonner. Sans admettre la thèse célèbre de Mandeville que les vices privés deviennent les vertus publiques, on peut dire du moins avec Vico que des vices capables de détruire la race humaine produisent le bonheur public. Ce n’est donc pas en déracinant les passions égoïstes, mais en leur donnant une sage direction ; ce n’est pas en les annihilant, mais en les utilisant, que le progrès de la culture sociale est possible, et c’est peut-être parce que le sens moral est sorti des passions égoïstes qu’il est capable de les contrôler, parce que ce contrôle est