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prédire ses actes. S’il n’agit pas sans motif, il le fait du moins par des motifs dont il n’est pas conscient et qu’aucun autre ne peut pénétrer » (page 10).

Que nous dit la conscience au sujet du libre arbitre ? quelle est son autorité ? quelle est son assurance positive ? Telles sont les questions posées dans les trois chapitres suivants, où nous ne pouvons signaler que les points importants.

D’abord le verdict de la conscience n’est qu’une inférence médiate, sujette aux mêmes causes d’erreur que toute autre observation ou inférence. D’ailleurs, la conscience ne nous dit rien d’une volonté en général, d’une volonté-entité abstraite ; tout ce qu’elle peut nous faire connaître, c’est une volition particulière pendant que nous l’avons. Si l’on objecte que entre les volitions et entre les états de conscience en général, il faut qu’il y ait quelque base de continuité, quelque lien d’unité, on doit l’admettre, mais ce lien ne peut être cherché que dans l’organisme. C’est là un point sur lequel nous verrons auteur revenir à plusieurs reprises. Il s’insurge entre la conception commune qui fait de la matière quelque chose de grossier, de tangible, d’inerte et ne voit rien au delà. L’organisme physiologique à son unité et sa continuité individuelle, « et la conscience que nous avons de cette unité et de cette continuité n’est après tout qu’une condition ou une forme de la pensée, une catégorie sous laquelle nous sommes astreints à penser, grâce à notre faiblesse et à nos limites, tout comme nous sommes astreints à penser sous les formes de l’espace du temps » (p. 22). La continuité n’est pas celle de la conscience, mais de la mémoire, qui elle-même a pour base un enregistrement organique. C’est se faire une bien pauvre idée du moi, comme on le fait souvent, que de le réduire à une somme de sensations agréables ou désagréables, actuelles ou idéales, qui déterminent la conduite, et de ne pas voir combien la formation d’un caractère implique d’énergies, cachées, actives et inhibitoires, que l’observation intérieure la plus subtile ne pourra jamais saisir. « Disséquer un acte de volonté complètement et le recomposer ensuite, ce serait disséquer et recomposer l’humanité. »

Des passages de ce genre et beaucoup d’autres analogues contenus dans ses précédents ouvrages ont valu à l’auteur plus d’une fois le renom de matérialiste. Il nous paraît, cependant, difficile de concilier cette épithète au sens vulgaire avec ce qui suit : « Il est évident que tout ce que nous connaissons est une synthèse du sujet et de l’objet. Peu importe comment vous appellerez ou n’appellerez pas cette synthèse, — sujet et objet, esprit et matière, — c’est le seul connaissable ; l’absolument inconnaissable, c’est un objet sans sujet et un sujet sans objet. L’hypothèse d’un monde extérieur est commode pour coordonner toute l’expérience humaine ; mais se demander si le monde extérieur existe indépendamment de toute expérience humaine est une question aussi raisonnable que de se demander si l’ombre appartient au corps de l’homme ou au soleil ; car, quelle perversion extraordinaire et quelle