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REVUE GÉNÉRALE. — la connaissance mathématique

M. Kroman commence par exposer ce que sont en physique les généralisations des observations et des expériences ; il remarque que la légitimité de la généralisation est, dans ce domaine, beaucoup plus difficile à établir que pour les mathématiques et que la question revient à admettre que le principe de causalité est une loi de la nature. Qu’en est-il en réalité ?

Hume pense que nous n’avons pas de garantie pour le principe de causalité, si ce n’est dans le puissant instinct qui nous pousse à y croire. Kant regarde ce principe comme dominant nécessairement le monde des phénomènes, mais l’exclut de celui des noumènes, ce qui ne laisse pas que de soulever de sérieuses difficultés. Stuart Mill ne reconnaît à la causalité qu’une garantie relative, celle de sa vérification par un nombre immense de cas.

Après une profonde critique des trois théories, M. Kroman établit qu’il est également impossible de donner soit une garantie apriorique, soit une garantie empirique pour le principe de causalité, et cependant nous ne doutons aucunement de la validité de ce principe ; c’est la première hypothèse de l’esprit humain, et si nous y croyons, c’est qu’il y a là pour nous une question de vie ou de mort et que nous désirons vivre.

Une théorie de la causalité doit à la fois expliquer l’origine du fait de la croyance et la légitimité de cette croyance. Aucune des théories antérieures ne peut satisfaire aussi bien à cette double condition que l’explication qui vient d’être donnée.

Après avoir montré les différences profondes qui séparent le principe de causalité des axiomes logiques ou mathématiques, M. Kroman pose la question de savoir si la validité du principe est illimitée. On doit débuter par la considérer comme telle, mais il est possible qu’elle soit soumise à une limitation qui restera à justifier.

On a admis de fait deux limitations : pour le monde des noumènes, et pour la volonté. Sur le premier point, notre auteur rejette après une réfutation en règle la doctrine de Kant ; sur le second, il examine successivement les trois arguments que l’on a fait valoir pour établir l’indépendance de la volonté relativement au principe de causalité ; il constate l’insuffisance de l’argument physique tiré de la spontanéité apparente de l’organisme, celle de l’argument psychique tiré du sentiment in médiat de la liberté, et montre que la réflexion sur soi-même indique bientôt que si la liberté existe, elle n’a qu’un jeu très limité. Mais il reconnaît importance de l’argument tiré du sentiment de la responsabilité humaine, et entreprend à ce sujet une critique très serrée du, déterminisme avec responsabilité. Stuart Mill est pris corps à corps et trouve enfin un adversaire digne de se mesurer