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REVUE GÉNÉRALE. — la connaissance mathématique

réel. Si en effet le concept de la différentielle est un mystère pour la plupart des philosophes, si, pour les mathématiciens eux-mêmes, son exposition dans l’enseignement est une affaire délicate, il n’en est pas moins certainement beaucoup plus clair et plus précis en fait que le concept du réel et que celui de l’intensif. En essayant de y ramener, M. Cohen, à mon avis, fait donc fausse route, et eût-il raison au fond, ce que je ne pense pas, il n’en aurait donc pas moins dépensé à peu près inutilement les ressources de sa dialectique et la subtilité de ses analyses critiques.

L’écueil opposé à celui dont j’ai parlé jusqu’à présent, menace au contraire le mathématicien qui veut faire la métaphysique de sa science, et exposer la théorie des concepts fondamentaux. Ainsi M. Paul Du Bois-Reymond s’est proposé ce but dans la première partie d’une Théorie générale des fonctions dont il a commencé la publication. C’est un ouvrage au courant des progrès les plus récents de la science, et, par là même, hors de pair parmi les travaux de cette nature qui d’ordinaire ne dépassent pas les théories mathématiques élaborées au commencement de ce siècle. Le volume paru peut être cependant assez facilement compris sans études mathématiques approfondies, et à ce point de vue, il sera d’un grand intérêt pour les philosophes qui ont tant soit peu abordé le calcul infinitésimal. Ils y trouveront des notions dont l’introduction dans la science est toute nouvelle et qui ne vont à rien moins qu’à changer complètement la représentation ordinaire du concept de fonction, ou du moins à la faire considérer comme correspondant seulement à un cas tout particulier. Ils y rencontreront des exemples d’autres cas, d’autres formes de fonctions dont les propriétés semblent uniquement combinées en vue de singuliers paradoxes ; en même temps ils auront des aperçus sur les travaux récents consacrés par M. Georg Cantor à la Théorie des ensembles et qui ont approfondi d’une façon bien inattendue la notion du continu.

Je reviendrai sur ces questions dans une autre occasion, qui me permettra, mieux que celle-ci, de les développer en proportion de l’intérêt qu’elles peuvent exciter dans ce recueil ; je dois aujourd’hui me borner à apprécier l’incursion faite par M. Paul Du Bois-Reymond sur le terrain de la théorie de la connaissance mathématique, pour la discussion des principes du calcul infinitésimal et en particulier de la notion de limite.

Il donne sucessivement la parole aux tenants de deux thèses opposées qu’il appelle, l’une idéaliste, l’autre empiriste ; il poursuit la discussion jusqu’à mettre en pleine lumière les divergences inconciliables de ces thèses, et conclut en affirmant que l’exposition des