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gination, le nombre des êtres, en forgeant à son gré des existences musicales au moyen des timbres qui sont les voix de ces personnages musicaux.

Parmi les timbres des instruments, il en est qui nous rappellent par voie d’analogie, non d’exacte similitude, certains bruits naturels et dans lesquels notre imagination, négligeant la différence et ne retenant que l’analogie, se plaît à reconnaître les voix de la nature. Cependant ces voix sont idéalisées par la transformation instrumentale ; mais l’analogie n’est point détruite par cette transformation. D’autres timbres nous deviennent parfois comme les voix d’êtres idéaux, tels que les lutins, les follets, les gnomes, les fées, les diables, les esprits des forêts et des eaux, bref les voix d’individualités, de personnalités fantastiques, participant assez de la nature pour que l’imagination se les figure, et assez peu pour n’exister qu’au pays des rêves. Ces êtres sonores composent ce qu’on appelle tantôt le surnaturel, tantôt l’extranaturel musical. Selon d’autres, ils sont les créations propres de la musique dite romantique.

Les deux espèces de timbres dont je viens de parler, ceux qui expriment idéalement les bruits naturels et ceux qui évoquent les individualités fantastiques, sont l’étoffe principale de la musique dite pittoresque. Or, à quels instruments appartiennent-ils ? Est-ce aux plus timbrés où aux moins timbrés ? Est-ce aux uns et aux autres ? Dans ce dernier cas, la part des instruments peu timbrés est-elle plus grande ou plus petite que celle des instruments richement timbrés ? Bref, les instruments les plus vocaux ne seraient-ils pas par hasard les plus expressifs, soit directement, soit indirectement, même lorsqu’il s’agit de musique pittoresque ?

Le problème de la musique pittoresque est d’une extrême délicatesse. Il ressemble à ces écheveaux de fine soie que les mains promptes embrouillent dès qu’elles y touchent ; et il a chaque jour ce malheur que des doigts moins que patients se permettent de l’agiter. Je ne crois pas qu’on puisse le résoudre autrement qu’en essayant de répondre aux questions précédentes. Je ne pense pas, d’autre part, que ces questions, que personne à ma connaissance n’a encore méthodiquement posées, aient une solution en dehors de l’analyse psychologique appliquée au pouvoir expressif particulier des timbres instrumentaux.

Sur ce point, comme sur ceux que nous avons étudiés déjà, de’bonne besogne a été faite par d’habiles chercheurs. Ceux-ci ont éclairci, au moins par places, ce que les impatients, qui se payent de fausses comparaisons empruntées à tort et à travers aux arts voisins, obscurcissent à l’envi. Nous avons recueilli des observations, des