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Il y a longtemps, à mon avis, que cette question est résolue ; depuis plusieurs années, de vrais, d’honnêtes savants ont invité les philosophes à remonter au niveau du vulgaire. Ce qui a été dit de plus sensé sur ce sujet n’est-il pas sorti de la bouche de Claude Bernard ? « Personne, dit-il, ne contestera qu’il y ait un déterminisme de la non-liberté morale. Certaines altérations de l’organisme cérébral amènent la folie, font disparaître la liberté morale comme l’intelligence et obscurcissent la conscience de l’aliéné., Puisqu’il y a un déterminisme de la non-liberté morale, il y a nécessairement un déterminisme de la liberté morale, c’est-à-dire un ensemble de conditions anatomiques et physico-chimiques qui lui permettent d’exister. Nous affirmons ce fait et nous disons : bien loin que les manifestations de l’âme échappent au déterminisme physico-chimique, elles s’y trouvent assujetties très étroitement et ne s’en écartent jamais, quelle que soit l’apparence contraire. »

On me dira peut-être que le mot de déterminisme n’est pas pris par Claude Bernard dans le sens du fatalisme philosophique ; mais je me permettrai d’ajouter que, lorsqu’on prétend faire dériver ce fatalisme philosophique du déterminisme mécanique, on ne sait pas ce qu’on entend par déterminisme mécanique, ou on l’oublie. Et je veux précisément attirer l’attention sur ce point que le déterminisme mécanique a une signification purement expérimentale et que la perfection de la mécanique analytique n’en peut imposer aux esprits réfléchis ou aux géomètres. Faire sortir le fatalisme philosophique du déterminisme mécanique et faire de la volonté pratique le libre arbitre métaphysique, cela peut plaire à des rhétoriciens avides de séparer verbalement les choses pour les réunir plus tard ; cette rhétorique n’en à jamais imposé aux penseurs. Un peu d’attention montre sans peine que, s’il y a opposition métaphysique entre fatalisme et libre arbitre, il n’y a aucune opposition entre la volonté et le déterminisme, attendu :

1o Que la volonté bien décrite n’apparaît pas comme un caprice arbitraire ;

2o Que le déterminisme mécanique ne doit être envisagé que comme une méthode de description des mouvements de certains corps.

Le premier point est acquis à la psychologie des livres ; il y a long-temps qu’il l’est au bon sens de tout le monde.

Le second point est acquis aux physiciens et aux géomètres. Ce second point mérite d’être examiné avec soin non seulement pour nous aider à redresser la prétention au paradoxe d’une école de philosophes, mais encore pour nous aider à faire la part de la vérité