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DE L’ABUS DU PRINCIPE

DE LA

CONSERVATION DE LA FORCE


I

C’est une erreur de croire que la mécanique plus qu’aucune science conduise à ce qu’on à appelé le déterminisme philosophique. Le mot de déterminisme ne désigne pour les savants qu’une méthode et non pas une vérité naturelle ; la question n’est pas de savoir si tout l’avenir serait écrit pour un esprit dont la science se moquerait du temps, la question est de savoir dans quelle mesure notre science peut prévoir. La question qui fut un temps à la mode : « Croyez-vous au déterminisme ? » n’a pas l’ombre de signification. Ce qui a un sens, c’est la question d’un travailleur à un autre : « Comment déterminez-vous les conditions de tel phénomène ? » J’ai déjà insisté sur l’indépendance pratique de la moralité et des difficultés qu’on a fait surgir de la bataille des mots déterminisme et liberté morale[1] ; je veux insister aujourd’hui sur l’une des causes de ce conflit prétendu, et je ferai voir sans peine que la prévision scientifique d’une part, je rappellerai que la volonté d’autre part, honnêtement envisagées, ne constituent nullement l’ « énigme perpétuelle de la raison humaine. »

Certes il y à un mystère dans nos conceptions de la nature et de nous-mêmes ; l’émotion du moi, la vie consciente envisagée indépendamment de leurs conditions matérielles seront toujours incompréhensibles pour nous ; pourtant si nous acceptons une fois pour toutes ce bienfait de la nature, et si, au lieu de nous cogner la tête contre l’inconnaissable, nous nous laissons vivre ; si dans la seule sphère du connaissable nous cherchons sans relâche, quelque conquête à faire, alors nous verrons ce qu’il faut abandonner de la contradiction de la liberté morale et du déterminisme.

  1. Voir la Revue philosophique du 1er octobre 1883.