Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
410
revue philosophique

plopie ainsi provoquée n’est pas seulement sensorielle, elle est aussi mentale, car les objets perçus étant formés de sensations et de représentations combinées ensemble, le dédoublement porte sur ces deux éléments à la fois. Donc une pression exercée sur l’œil peut, dans certaines circonstances (dans les conditions de la perception visuelle), dédoubler une représentation de l’esprit, une idée, une image. Même fait pour les hallucinations. Brewster, Paterson, Despine, Ball, Féré ont constaté qu’en pressant sur l’œil d’un malade en état d’hallucination, on arrive à lui montrer deux apparitions au lieu d’une. Nous pensons que ce phénomène doit pouvoir être reproduit dans toutes les hallucinations causées par des sensations objectives ; car dans le cas où l’hallucination naît d’une sensation subjective, il semble que la pression sur l’œil, ne dédoublant pas la sensation, ne peut exercer aucune action analogue sur l’image[1].

L’action du prisme est plus compliquée. Si on fait dévier les rayons lumineux qu’un objet envoie à notre œil, en plaçant un prisme devant les deux yeux, l’objet est localisé dans une direction fausse : ce n’est pas seulement la sensation visuelle qui est rapportée à un point de l’espace où il n’existe aucune cause propre à l’exciter, c’est l’objet tout entier qui paraît déplacé ; l’objet, c’est-à-dire un ensemble formé de sensations et d’images. Donc l’interposition d’un prisme exerce indirectement une action sur la localisation extérieure d’une image mentale, d’une idée. Ce n’est pas tout ; si le prisme n’est placé que devant un seul œil, l’objet est va double, c’est-à-dire que l’image est dédoublée comme dans le cas de la pression oculaire[2].

On a pu reproduire ces deux effets de déviation et de dédoublement dans des hallucinations visuelles, provoquées chez des hystériques hypnotisées. « Sur deux malades déjà étudiés et sur plusieurs autres, rapporte M. Féré, nous avons observé ce qui suit. Pendant le sommeil hypnotique, ou pendant la catalepsie, on leur inculque l’idée qu’il existe sur une table de couleur sombre un portrait de profil : à leur réveil, elles voient distinctement le même portrait. Si alors, sans prévenir, on place un prisme devant un des yeux,

  1. On a observé le dédoublement des hallucinations auditives dans certains £as où il y avait une altération d’une seule oreille. Les deux sons perçus en même temps ne vibrant plus à l’unisson paraissaient doubles, et entraînaient le dédoublement de l’hallucination par le même mécanisme que dans les troubles de la vue. (Mairet, Sensations auditives, Montpellier médical, 1879.)
  2. La pression latérale de l’œil produit aussi, comme lé prisme, un déplace, ment apparent de l’objet, mais ce déplacement n’étant ni aussi net ni aussi facilement calculable que dans le cas du prisme, nous avons pensé devoir le négliger.