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A. BINET. — l’hallucination

mouvements du corps, sont supprimées par l’interposition d’un corps opaque, comme par la fermeture des yeux, etc.

Dans d’autres cas, les hallucinations visuelles présentent les phénomènes inverses, et ces contradictions ont fait le désespoir de certains auteurs qui ont pensé qu’il n’y avait rien de régulier dans les troubles hallucinatoires. Ainsi, il y a des apparitions qui suivent le mouvement des yeux ; ces apparitions poursuivent généralement le malade dans toutes les positions qu’il prend, et partout où il va[1].

Nous avons un fil conducteur pour nous guider dans ce dédale ; c’est l’étude de la perception normale. La perception peut être produite par une sensation subjective de l’œil, et elle revêt dans ce cas des caractères particuliers. Les mouches volantes et en général tous les phénomènes entoptiques qui, dans les inflammations de l’œil, éveillent si fortement l’attention des malades, paraissent suivre les mouvements intentionnels du regard, et elles entraînent avec elles dans leurs mouvements les représentations de distance, de forme, etc. qu’elles ont suggérées. Les apparitions hallucinatoires qui se déplacent avec le point de visée ne font que répéter ces phénomènes, de sorte qu’on ne peut s’empêcher d’en rattacher l’origine à des sensations subjectives de l’œil. L’exactitude de cette interprétation est d’ailleurs reconnue par les auteurs. « La lumière propre de la rétine, remarque Helmholtz, est riche en formes auxquelles un poltron peut attribuer facilement toutes sortes de significations extraordinaires, surtout lorsqu’il regarde fixement le phénomène qui l’effraye, ce qu’il l’empêche de remarquer que cette apparition se meut avec l’œil… Dans le délire alcoolique, il apparaît dans le champ visuel des taches noires, etc. » L’auteur, en citant ces faits bien connus, ne parait pas avoir remarqué ce qu’ils présentent de curieux : une idée-image qui se déplace dans le champ visuel, sous l’influence des contactions des muscles oculaires. Nous insisterons en terminant sur deux faits particulièrement intéressants, la pression oculaire et le prisme. Nous avons déjà étudié, dans un précédent article, l’effet de la pression oculaire[2] : Nous n’en dirons que deux mots. À l’état normal, si on presse sur un de ses globes oculaires, on dédouble les deux images rétiniennes, et on voit tous les objets doubles ; la di-

  1. Kandinsky, Archiv.. für Psychiatrie, 1881, p. 453 ; Bostock, cité par Brierre de Boismont, Hallucimations, 3e édit. p. 36. Pareillement, il y a des voix qui se font entendre partout, à la promenade, en chemin de fer, en rase campagne, au bain, etc. Ce genre d’hallucinations de l’ouïe est fréquent dans le délire des persécutions.
  2. Revue philosophique, avril 1883.