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nienne, spectres oculaires), soit par l’impression persistante des objets (sensations accidentelles positives et subjectives, avec leurs phases colorées), soit par la pression des doigts sur les paupières (grand et petit phosphène), etc., etc. Il paraît probable que ces sensations peuvent servir de point de départ aux hallucinations qui se forment les yeux fermés, ou sont favorisées par les ténèbres. Ajoutons que les formes indécises des objets vus dans le demi-jour peuvent également prêter aux hallucinations dont l’intensité augmente aux approches de la nuit. Il n’y a aucune contradiction entre tous ces faits.

Dans la perception externe, l’aspect des objets extérieurs change avec la manière dont nous dépensons notre force ; ce qui revient à dire que les images sont modifiées aussi bien que les sensations par la nature et la direction de nos mouvements. Il en est de même pour les hallucinations, dont plusieurs phénomènes curieux s’expliquent par ce rapprochement. Nous ne parlerons ici que des hallucinations visuelles, afin d’abréger.

L’apparition occupe quelquefois un point déterminé, où les yeux la retrouvent, chaque fois qu’ils se portent de ce côté[1]. Le malade n’a qu’à détourner les yeux ou le corps pour ne pas la voir. S’il s’approche du point, la vision grandit, et la perspective de l’objet imaginaire paraît se modifier régulièrement, autant du moins qu’on, peut en juger d’après les observations des auteurs, qui sont généralement incomplètes. Enfin, les hallucinations visuelles sont parfois interceptées par l’interposition d’un corps opaque. Un halluciné, dont parle Walter Scott, apercevait un squelette au pied de son lit. Le médecin qui le soignait voulant le tirer d’erreur se plaça entre le malade et le point assigné à la vision. L’halluciné prétendit alors qu’il ne voyait plus le corps du squelette, mais que la tête était encore visible au-dessus de l’épaule du médecin[2]. Toutes ces particularités ont leur pendant dans la perception normale d’un objet extérieur, car les images que cet objet suscite dans l’esprit changent avec les

    subjectives produites par un changement dans la pression du sang de la rétine, lorsque les yeux sont fermés à la lumière extérieure (Manuel de physiologie, trad. Jourdan, t.  II, p. 537). Conf. Gruthuisen (Annales médico-psych., t.  VII, p. 9), et Maury (Sommeil et rêve, p. 55 et seq.)

  1. Morel parle d’une paralytique générale qui au début de son affection voyait constamment dans le fond de son jardin, un homme sans tête. Pendant une période de rémission, cette femme déclara au médecin que le premier essai qu’elle ferait de ses forces intellectuelles en rentrant chez elle, consisterait à se placer dans le même milieu où l’apparition se montrait jadis à ses regards. L’absence du symptôme ferait juger, disait-elle, si la guérison était solide. (Maladies mentales, 1860, p. 357).
  2. Cité par Brierre de Boismont, des Hallucinations, p. 29.