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A. BINET. — l’hallucination

VI

3o La troisième conséquence qu’on peut rattacher au phénomène de l’association est la suivante : toute modification imprimée aux sensations, détermine une modification correspondante dans les images. Ainsi, dans la perception visuelle, l’occlusion des paupières, en même temps qu’elle supprime la sensation de la vue, supprime les images associées. Nous voyons pareillement que des hallucinations visuelles cèdent à l’occlusion des yeux, et qu’un moyen qui a réussi quelquefois à délivrer des malheureux de leurs apparitions terrifiantes, a été de leur appliquer un bandeau sur les yeux. Brierre de Boismont rapporte l’observation d’une demoiselle qui voyait dans ses hallucinations des chevaux, des lions, des soldats qu’on passait en revue et dont les schakos portaient des numéros très apparents. « Quand cette demoiselle voulait se soustraire à ces visions, il lui suffisait de fermer les yeux. Dès qu’elle les rouvrait, elle s’écriait : « Les voilà encore devant moi[1] ! »

Il est vrai qu’il y a des cas où les hallucinations n’apparaissent que les yeux fermés, ou lorsqu’on presse sur les paupières. Baillarger raconte que dans le jour, dès que la fille G. ferme les yeux, elle voit des animaux, des prairies, des maisons. Il m’est arrivé plusieurs fois, ajouta-t-il, de lui abaisser moi-même les paupières. Aussitôt, elle me nommait une foule d’objets qui lui apparaissaient[2]. Il y a aussi beaucoup d’hallucinations qui ont leur période d’exacerbation pendant la nuit (hallucinations alcooliques), il y a enfin des hallucinations exclusivement nocturnes, qui ne se développent que dans l’obscurité, et dont le malade se débarrasse en allumant une bougie. Au prime abord, il semble qu’il y ait contradiction entre ces derniers faits et ceux où la fermeture des yeux suspend l’hallucination. Cependant on peut les concilier. Avec la fermeture des yeux, l’excitation rétinienne n’est pas entièrement supprimée. On sait qu’il existe un monde de sensations visuelles subjectives, produites soit par la circulation du sang dans l’intérieur de l’œil[3] (lumière intra-réti-

  1. Brierre de Boismont, des Hallucinations, p. 577 ; Esquirol, op. cit.

    Pareillement l’occlusion du conduit auditif a parfois suffi pour arrêter les hallucinations de l’ouïe.

  2. Baillarger, loc. cit., p. 330.
  3. Jean Müller a attiré l’attention sur l’éclat que prennent ces impressions