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A. BINET. — l’hallucination

l’extériorisation a toujours lieu, comme dans les troubles de la vue ; mais la localisation est moins précise. Ce défaut s’explique, si l’on se reporte à la perception normale de l’ouïe : on sait en effet que cette perception comporte une localisation du son beaucoup moins parfaite que la perception visuelle. L’hallucination de chaque sens reproduit fidèlement les traits principaux de la perception correspondante. Voilà la règle générale.

L’halluciné de l’ouïe projette donc ses représentations auditives, ou comme on dit, ses pensées parlantes, dans des régions plus ou moins bien définies de son entourage, Les voix viennent de l’étage supérieur ou d’une chambre voisine ou du plafond, ou du plancher, ou de l’intérieur d’une cheminée etc. Un officier qui voyageait dans l’intérieur d’une diligence croyait entendre la voix de son ennemi partir de l’impériale de la voiture, La distance à laquelle les voix sont entendues est rarement indiquée avec précision. Il est remarquable, dit M. Baillarger, que souvent ces voix paraissent venir de très loin. De là le mot de porte-voix qui est en quelque sorte consacré par les malades pour rendre compte de la manière dont ils sont impressionnés.

Les hallucinations du goût, du toucher, de la sensibilité générale entraînent une localisation à le surface du corps, ou dans l’intérieur du corps, comme les perceptions des mêmes sens.

2o Une autre particularité intéressante, qui paraît dépendre du fait de l’association, se rencontre dans la perception normale et se retrouve dans l’hallucination. Les organes sensoriels étant toujours doubles et symétriques, la perception peut ne se faire que par un seul organe, un seul œil, une seule oreille etc. Dans ce cas l’image mentale semble arriver à l’esprit, comine la sensation, par le seul organe en activité, quoique, encore une fois, l’image soit un état interne. Qu’on ouvre l’œil droit seulement, et on croira apercevoir la forme et la nature physique des corps avec cet œil, bien que ces qualités soient connues, dans les conditions indiquées, par le souvenir et non par les sens. Ou bien supposons que les deux yeux sont ouverts, et qu’une petite tache sur la cornée de l’œil droit donne au sujet l’illusion d’un corps opaque, d’un petit animal placé au milieu du champ visuel. Le sujet pourra se rendre compte de la localisation de cette perception sensorielle à l’œil droit ; c’est par l’intermédiaire de cet œil qu’il extériorisera les images suggérées par cette sensation toute subjective[1]. Voilà deux espèces de perceptions qu’on peut appeler unilatérales.

  1. Les philosophes ont abusé du subjectif et de l’objectif. Nous employons