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observation qui est remarquable par le soin avec lequel on l’a recueillie[1].

Un malade, après cinq jours de diète, « vit une image gracieuse assise près de son lit dans la pose du tireur d’épine, mais dont la main droite était étendue vers le lit du patient… et posée sur la couverture à trente centimètres de ses yeux, c’est-à-dire tout près de sa figure, et à portée des investigations les plus minutieuses du regard. Cette main était blanche, fuselée, potelée, d’un galbe ravissant, ayant aux articulations de petites fossettes sur les premières phalanges, et sans qu’on y pût distinguer de duvet, revêtue vers le poignet d’une auréole très mince de lumière blonde frisante, qui la rendait vivante comme pas une… » Eh bien ! ce qu’il y a de plus instructif dans cette observation, ce n’est pas le fini merveilleux de la vision ; c’est que cette main, qui n’existait pas réellement, qui n’était qu’une représentation de l’esprit, une image, était vue exactement dans les mêmes conditions qu’un objet réel ; elle paraissait située à une distance déterminée, dans une direction déterminée, posée sur le drap, etc. L’extériorisation et la localisation de cette représentation mentale avaient donc lieu suivant le même mécanisme que dans la perception externe. Quand on perçoit un objet réel, il y a aussi, répétons le, une image qui s’objective ; mais on ne remarque pas l’existence de ce phénomène normal parce que la représentation extériorisée correspondant, dans ce cas, à un objet extérieur, est confondue avec les sensations qui en proviennent. On saisit ici la parfaite justesse du mot de M. Taine : « la perception est une hallucination vraie. »

En résumé, dans les hallucinations visuelles, l’objet inventé par le délire est encadré dans un milieu réel ; une sorte de continuité relie le vrai et le faux, l’hallucination et l’entourage réel du moment, circonstance qui est bien faite pour mettre le comble à l’illusion. En termes psychologiques, nous dirons que l’image fausse de l’hallucination donne lieu aux mêmes phénomènes que l’image vraie de la perception externe : projection au dehors et localisation[2].

Dans les hallucinations de l’ouïe, les faits sont un peu différents :

  1. Taine, de l’Intelligence, in-18, t.  I, p. 398.
  2. M. Baillarger pense qu’une des conditions favorables aux hallucinations est un état caractérisé par la perte de conscience du temps, des lieux et des objets environnants ; c’est ce qu’il appelle l'état d’hallucination. Beaucoup d’aliénistes ont contesté la généralité du fait ; la suspension des impressions extérieures existe dans certains cas et manque dans d’autres. On peut expliquer cette sorte d’oubli du monde extérieur par la concentration de l’esprit du malade sur l’objet imaginaire ; l’attention a pour effet reconnu de restreindre le champ de la conscience (Baillarger, op. cit., p. 451).