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A. BINET. — l’hallucination

extériorisée et localisée sur le linge, au point qu’il occupe dans l’espace exactement comme les sensations rétiniennes qui en proviennent directement.

Dans les hallucinations, on découvre un phénomène analogue. Le malade extériorise et situe l’image hallucinatoire comme il le fait pour une image vraie dans la perception normale. Le mécanisme psychologique des deux opérations est le même. Il y a plus. L’hallucination n’est pas une manifestation isolée, elle se montre constamment accompagnée et soutenue par un certain nombre de perceptions externes. Les malades, au moment même où ils Sont assaillis par une hallucination, jugent à l’aide des mêmes sens les objets réels avec autant de rectitude qu’une personne raisonnable (Calmeil). Il en résulte que l’objet fictif créé par l’hallucination est placé au milieu des objets extérieurs et se confond avec eux. Un étudiant[1], qui se prépare à écouter un cours, aperçoit tout à coup une tête de mort posée sur une chaise ; la chaise est un corps réel, la tête de mort est seule un objet imaginaire. La même personne, Se promenant un soir dans un jardin, voit un fantôme drapé dans un large manteau bleu, qui se tient debout sous un arbre ; l’arbre, le jardin, tout cela est réel ; le fantôme seul est le produit d’une hallucination. Une jeune demoiselle, au milieu de la conversation ou dans l’exercice de ses travaux, s’arrêtait tout à coup pour regarder en l’air. Aux questions qu’on lui adressait, elle vous répondait avec calme : « Je contemple la neige qui tombe du plafond, ou la muraille qui vient de s’entr’ouvrir pour livrer passage à plusieurs hommes. » Les visions ne l’empêchaient nullement de prendre part à ce qui se passait dans le salon[2]. Une hystérique voit dans les moments qui précèdent ses attaques des rats et des chats courir les uns après les autres sur le sommet d’un mur qu’on aperçoit par la fenêtre en face de son lit. Près de là se trouve une lucarne qui semble être leur repaire[3]. Ils en sortent tous et y disparaissent au retour de leurs courses. Même observation à ce sujet : le réel et le fictif sont perçus en même temps, d’après les mêmes lois, et du même œil. De même encore, dans les hallucinations de l’alcoolisme, le malade voit de petits animaux qui sortent des fissures du plancher, qui courent sur ses draps de lit, sur ses mains, sur ses bras, etc. Ces citations pourraient être multipliées à l’infini : nous nous bornerons à reproduire une dernière

  1. Annales médico-psych., t.  III, p. 413.
  2. Brierre de Boismont, des Hallucinations, p. 603.
  3. Richer, Études cliniques sur l’hystéro-épilepsie.