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Dans la perception externe, tout est renversé. Les images qui naissent en nous, au contact des objets extérieurs, tirent de leur origine un ensemble de propriétés qui font absolument défaut aux images du souvenir. Suggérées directement par des impressions sensorielles, elles s’associent organiquement à ces impressions, de manière à former un tout indivisible, qui correspond à la notion d’un objet unique. Grâce à cette attache sensorielle, chaque image subit par contre-coup toutes les modifications qu’éprouve la sensation. Pratiquement, elle se ! comporte pour l’observateur comme une sensation véritable.

Il en est de même dans l’hallucination, qui reproduit, en les amplifiant, les traits de la perception externe. Si l’image cérébrale qui s’extériorise crée si parfaitement pour l’halluciné l’apparence d’un objet extérieur, c’est parce que cette image est associée à des impressions des sens qui lui communiquent leurs propriétés. On a ainsi la clef de toute une série de phénomènes curieux, bizarres, et presque surnaturels en apparence, que la clinique constate dans l’hallucination, et que l’expérimentation y révèle. Le chapitre qui suit pourrait donc être intitulé : « Propriétés des images qui sont associées à des sensations. »

1o Le premier phénomène à étudier est celui de l’extériorisation.

Les images comprises dans un acte de perception sont extériorisées et localisées dans l’espace avec les sensations qui leur sont unies. Lorsque nous regardons un ruisseau d’eau claire qui coule dans un champ ensoleillé, la vue de l’eau provoque dans notre esprit, par association ; une idée de fraîcheur. Cette idée, qui est une image interne et subjective, est considérée comme un fait extérieur, et rapportée à un objet qui occupe une position déterminée dans l’espace, au ruisseau ; de sortie que nous croyons voir la fraîcheur de l’eau qui coule. Nous prenons pour un fait d’expérience ce qui n’est qu’une suggestion de l’esprit, pour une sensation ce qui n’est qu’une image. L’analyse a démontré en outre que dans la perception visuelle la forme, la distance, la direction, le relief, la solidité et une foule d’autres qualités sont connues indirectement, sous forme d’images. Si ces images sont confondues avec des sensations, c’est qu’elles sont comprises dans le même système de projections.

Nous croyons voir directement, par un acte d’intuition, le tableau des choses extérieures parce que l’élément idéal de ce tableau est soumis aux mèmes phénomènes d’extériorisation et de localisation que l’élément sensoriel. Dans l’illusion des sens, cette objectivation se montre à nu, car l’image extériorisée est fausse : ainsi l’image d’un fantôme évoquée par la vue d’un linge aux rayons de la lune est