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sensorielles. Néanmoins, nous avons deux objections capitales à formuler contre cette définition nouvelle.

En premier lieu, on éprouve quelque répugnance à appliquer le nom d’hallucination, avec l’idée fâcheuse de symptôme pathologique qui s’y attache, à un phénomène qui, comme la perception fausse de cause subjective, se produit normalement, dans des conditions déterminées, chez tous les individus sains d’esprit. Les effets bien connus de l’arrière-sensation visuelle, auditive ou tactile, comme l’apparence d’un ruban de feu produite par un charbon allumé qu’on agite, etc., etc., sont des erreurs d’interprétation engendrées par des sensations subjectives ; ces erreurs sont communes à tous, elles s’imposent comme une nécessité à l’intelligence la plus lucide, et loin d’être le symptôme d’une maladie mentale, elles serviraient plutôt de preuve que l’organisme de l’individu qui les subit n’a pas dévié du type normal. Ce serait un véritable abus de langage que d’appeler ces phénomènes des hallucinations[1].

Notre seconde objection, c’est qu’on ne saurait attacher grande importance au fait que la sensation excitatrice vient du dehors ou prend naissance dans l’organisme ; car la réaction cérébrale qui en est la suite ne change pas avec l’origine de la sensation. Qué le nerf sensitif soit excité au niveau de son bout périphérique ou le long de son trajet, l’irritation suit la même voie, et arrive au même centre sensoriel, qui, n’étant pas capable de discerner le point où l’irritation est née, réagit de la même façon. Les travaux des physiologistes et de Helmholtz en particulier ne laissent aucun doute à cet égard[2].

Nous pensons que la distinction de l’illusion et de l’hallucination mérite d’être conservée, mais établie sur une autre base. Il existe deux catégories de perceptions fausses ; les unes sont compatibles avec l’intégrité de la raison, les autres sont un symptôme d’aliénation mentale au même titre que le chancre induré est un symptôme de la syphilis. On peut faire servir les mots d’illusion et d’hallucination à exprimer cette distinction fondamentale, en appelant illusion l’erreur sensorielle physiologique et hallucination l’erreur sensorielle pathologique.

Pour développer ce point, il faudrait faire une longue digression ;

  1. Notons à ce sujet que les sensations subjectives ne sont pas essentiellement morbides. Ainsi la persistance de l’excitation rétinienne après la suppression de la lumière est un phénomène analogue à la contraction musculaire qui dure toujours plus longtemps que l’action excitatrice. Les deux phénomènes pourraient être exprimés graphiquement par la même courbe, en supprimant la période d’excitation latente, qui est à peu près nulle pour la rétine. (Beaunis, Physiologie humaine, 1876, p. 811).
  2. Optique physiologique, p. 563.