Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
397
A. BINET. — l’hallucination

Telle est l’opinion de beaucoup d’aliénistes qui font de l’illusion une simple variété de l’hallucination[1].

Sur quel caractère s’appuient donc ceux qui les distinguent ? D’après les définitions d’Esquirol, la différence des deux symptômes tiendrait à la participation des sens ; l’hallucination crée de toutes pièces un objet imaginaire « c’est un phénomène intellectuel, cérébral : les sens ne sont pour rien dans sa production », tandis que, dans l’illusion, il y a toujours une impression réelle, mais perçue d’une manière vicieuse. En d’autres termes, l’hallucination serait une perception sans objet, et l’illusion une perception erronée d’un objet réel. On s’explique assez bien cette distinction de la part d’aliénistes qui, comme Esquirol et les anciens auteurs, ne voyaient dans l’hallucination qu’une perturbation intellectuelle, « une idée qui se projette au dehors. » Mais depuis que M. Baillarger a montré que l’hallucination est un symptôme psycho-sensoriel, qui a besoin du concours des sens pour se manifester, la première position n’était plus défendable. On a donc cherché une définition nouvelle, bien que quelques auteurs, qui ne se sont pas aperçus de cette évolution, continuent à reproduire la définition d’Esquirol. Aujourd’hui, on admet généralement que l’hallucination est comme l’illusion le produit d’une sensation toujours réelle ; ce qui distingue ces deux symptômes, c’est la nature de la sensation. Dans l’hallucination, la sensation est subjective ; dans l’illusion des sens, elle est objective[2].

Cette opinion ne contient aucune erreur grave ; il est évident que certaines perceptions fausses sont le résultat de causes objectives, et que d’autres perceptions fausses sont produites par des causes subjectives. On peut appeler les premières illusions et les secondes hallucinations. C’est une pure affaire de convention. Remarquons encore à ce propos que cette opinion n’a rien qui contredise notre thèse : au contraire ; car si la seule différence entre les illusions et les hallucinations tient à l’origine de l’impression initiale, il en résulte que les deux phénomènes sont identiques pour le reste, et que l’hallucination est, comme l’illusion, une perturbation de nos fonctions

  1. C’est, du moins, l’opinion de Calmeil, d’Aubanel, de Dechambre et de plusieurs autres auteurs. M. Ball dit avec raison : l’illusion est une hallucination dont le point de départ est manifeste ; l’hallucination est une illusion dont le point de départ est latent. Mais à mesure que la clarté se fait, l’origine réelle de ces phénomènes devient plus apparente, et il devient de plus en plus difficile de maintenir cette distinction arbitraire.
  2. C’est la distinction proposée par Baillarger, op. cit., p. 470, et suivie par beaucoup d’aliénistes, voir Tamburini, Sulla genesi delle allucinazioni, Reggio, 1880, p. 28.