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combien l’illusion des sens est voisine de l’hallucination, Le fait m’a été rapporté par mon excellent ami, M. G. A., à l’époque où nous étions tous deux étudiants en médecine. Un jour qu’il remontait la rue Monsieur-le-Prince, à Paris, il crut lire sur la porte vitrée d’un restaurateur les deux mots suivants : « Verbascum thapsus. » On sait que c’est le nom scientifique d’une scrofularinée de nos pays, qu’on appelle vulgairement le bouillon blanc. Mon ami avait passé les jours précédents à préparer un examen d’histoire naturelle ; sa mémoire était encore surchargée de tous ces noms latins qui rendent l’étude de la botanique si fastidieuse. Surpris de l’inscription qu’il venait d’apercevoir, il revint sur ses pas pour en vérifier l’exactitude, et alors il vit que la pancarte du restaurant portait le simple mot « Bouillon ». Ce mot avait suggéré dans son esprit celui de « bouillon blanc », qui à son tour avait suggéré celui de Verbascum thapsus. Les deux suggestions s’étaient suivies si rapidement qu’elles avaient paru simultanées. Rien ne ressemble plus aux hallucinations que les illusions des sens aussi développées. L’insignifiance de limpression sensorielle qui les provoque, le développement considérable de l’élément représentatif, et enfin la fausseté de l’opération tout entière imposent ce rapprochement.

Abordons maintenant la pathologie mentale, et nous allons voir que cette opinion n’est pas seulement fondée sur des analogies symptomatiques, qui sont souvent trompeuses, mais encore sur des similitudes de marche, de diagnostic et de pronostic.

C’est une vérité courante qu’au point de vue clinique les illusions des sens et les hallucinations ont une signification égale ; on les confond en général dans la description des troubles sensoriaux comme des symptômes presque toujours associés : et qui révèlent avec une même certitude l’existence d’une lésion de l’intelligence. La plupart des illusions qui assiègent un aliéné ont un caractère aussi grave et aussi alarmant que les hallucinations. Voici un malheureux maniaque qui en regardant un portrait le voit s’animer, sortir du cadre et marcher à lui en revêtant des formes fantastiques ; les auteurs considèrent ce phénomène comme une illusion des sens, parce qu’il est produit par un objet extérieur mal perçu ; mais n’est-il pas évident que l’individu, chez lequel le mécanisme de la perception est lésé à ce point donne une preuve de son désordre cérébral aussi convaincante que s’il s’agissait d’une hallucination ? Si ces deux genres de perception fausse ont la même valeur pour le diagnostic, n’est-il pas permis de croire à une identité de nature et de constitution ?