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Dans un intéressant travail publié par le Lyon médical[1]le D’Max Simon a émis l’idée que les prétendues hallucinations psychiques ne sont pas des hallucinations du tout, mais « des impulsions de la fonction langage ». L’auteur remarque tout d’abord l’étroite connexion de chaque pensée avec son signe, et de chaque signe avec l’action musculaire qui le transmet au dehors. Ce fait explique comment, même dans l’état physiologique, certains mots, certains airs ont une tendance à se compléter par les mouvements volontaires qui sont si près de la pensée non formulée. « Exagérons cette action, et nous aurons une impulsion de la fonction langage. »

Le premier degré de ce phénomène pathologique nous est offert par certains aliénés « qui, en même temps qu’ils entendent parler à l’épigastre prononcent eux-mêmes des mots la bouche fermée et comme le font les ventriloques. C’est ce qui a lieu chez une femme B… placée dans le service de M. Baillarger… Souvent, si l’on se tient près de son lit, et qu’on ne fixe plus son attention, on entend bientôt un bruit très faible qui se fait dans sa gorge et dans sa poitrine ; si l’on approche plus près, on distingue des mots, des phrases même ; or ces mots, ces phrases, l’hallucinée prétend que ce sont ses interlocuteurs qui les prononcent, et c’est en réalité ce qu’elle entend… On peut d’ailleurs mieux s’assurer de ce phénomène en priant cette femme d’adresser une question à ses interlocuteurs invisibles. On entend alors la réponse qui se fait dans sa gorge, et sans qu’elle ait conscience que c’est elle qui la fait. »

En continuant cette étude, on arrive à un ordre de faits qui sornent nettement de la classe des hallucinations. « Voici un aliéné qui se croit possédé, qui injurie, qui blasphème, etc. Interrogez ce malade, et lui aussi vous dira que les mots lui montent à la tête ; mais ici, nous avons un fait nouveau. Ces mots qui viennent irrésistiblement à l’esprit de l’aliéné, il les prononce. » C’est le cas de cette dame qui tout à coup, au milieu d’une conversation tranquille, prononçait deux ou trois paroles malséantes, sinon grossières, et cela malgré elle, convulsivement. Qu’on veuille bien exagérer l’exercice de la fonction, la porter à sa limite extrême, et on aura la loquacité intarissable et incohérente de la manie… Un jour que je traversais le jardin d’un pensionnat d’aliénés, je fus abordé par une malade, jeune femme, en plein accès de manie. La pauvre aliénée paraissait brisée par la fatigue, elle venait de passer toute la matinée à chanter, crier, vociférer. « Hélas ! me dit-elle, je suis brisée, je n’en puis

  1. 1880, numéros 48 et 49. Réimprimé dans le Monde des Rêves. Paris, 1882, p. 130.