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l’hallucination. « S’il s’agissait bien réellement d’une idée qui se projette au dehors remarque Ball à ce propos, comment pourrait-on dédoubler cette idée en pressant sur le globe oculaire[1] ? »

Les hallucinations de l’ouïe, qui sont surtout importantes à étudier sous le rapport des phénomènes intellectuels, offrent moins d’intérêt en ce qui concerne les phénomènes des sens. Cependant il y a quelques faits intéressants à retenir. Les hallucinés de l’ouïe se plaignent souvent d’entendre des bruissements, des bourdonnements, des tintements dans les oreilles ; ce sont des bruits réels qui naissent le plus souvent dans un point du système circulatoire.

L’influence de ces sensations subjectives sur les hallucinations n’est pas douteuse ; les bruits précèdent l’éclosion des hallucinations et, quand le phénomène est unilatéral, c’est du côté où le malade entend ses voix que les bruits fatiguent son oreille. On a reconnu chez beaucoup d’hallucinés une altération directe de l’appareil auditif ; le traitement local de la maladie auriculaire, la simple évacuation d’un bouchon de cérumen, un bourdonnet de charpie laudanisée maintenu dans l’oreille (Foville) ont parfois réussi à triompher d’hallucinations persistantes qui menaçaient d’entraîner l’aliénation mentale. Il y a des sourds qui éprouvent des hallucinations de l’ouïe, comme il y a des aveugles poursuivis par des visions terrifiantes ; dans l’un et l’autre cas, la cause du phénomène doit être cherchée dans une irritation atrophique du nerf sensitif.

Jolly[2] a reconnu chez la plupart des hallucinés de l’ouïe une hyperesthésie du nerf acoustique ; de plus, en faisant passer un courant continu à travers les oreilles de ces malades, il a réussi à provoquer des hallucinations de l’ouïe comparables à celles qui se manifestent spontanément. Sous l’influence de l’excitation électrique, ces individus n’éprouvaient pas seulement des sensations subjectives ; ils entendaient des sons de cloches, des paroles brèves, comme celles-ci : « Ein Riss — Ein Stich — Der Heilige Geist ! », ou des phrases plus longues : « Der Tag geht jetzt zu Ende ! — Du sollst anbeten Gott deine Hernn,  » etc., et même des vers. Enfin les recherches de Maury[3], qui ont le caractère de véritables expérimentations, ont montré que les hallucinations de l’ouïe, de la vue, du toucher, etc., qui se manifestent dans le passage de la veille au sommeil (hallucinations hypnagogiques), peuvent être provoquées par une action sur les sens.

  1. Théorie des hallucinations (Revue scientifique, 1880).
  2. Beiträge zur Theorie der Hullucinationen (Arch. für Psychiatrie, 1874.
  3. Le sommeil et les rêves, 1861.