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en pied après une seule séance de modèle ; il plaçait mentalement la personne sur la chaise, et toutes les fois qu’il regardait la chaise il voyait la personne assise. Peu à peu, une confusion se fit dans son esprit ; il soutenait que le modèle avait posé réellement, et finalement il devint fou.

Ces images, si développées chez certains individus, mais qui existent à l’état naissant chez tous, forment l’élément psychique et comme la substance de l’hallucination, Qu’elles soient fournies par la mémoire, ou construites par l’imagination, qu’elles soient de nature visuelle, ou auditive, ou tactile, ou motrice, les images diffèrent à peine de la réalité extérieure. Ce sont presque des sensations. Plus on les étudie, mieux on comprend que l’halluciné soit convaincu de la réalité de ses impressions ; et on ne s’étonne plus qu’un physiologiste comme Burdach, en rendant compte de ses visions, ait écrit ces mots : « On a dans l’œil la même sensation que si un objet extérieur se trouvait placé devant cet œil ouvert et vivant. »

III

À s’en tenir à ce qui précède, on serait tenté de croire que l’hallucination n’est pas autre chose qu’un délire intellectuel. On la définirait volontiers : une image cérébrale extériorisée. Mais les faits sont beaucoup moins simples. Pour des raisons de clarté, nous avons éliminé un des éléments caractéristiques du phénomène, la part des sens. Les aliénistes contemporains admettent que les organes des sens ne restent pas absolument étrangers à l’hallucination, que c’est là un phénomène mixte, produit par le double concours des sens et de l’esprit, ou comme on dit encore, psycho-sensoriel. On voit apparaître ici la première des analogies signalées entre l’hallucination et la perception externe.

Cette question du rôle des sens a été résolue en Allemagne par Griesinger, et en France par Baillarger, dans un mémoire publié en 1844 et qui est demeuré classique. Il fallait un talent d’observation et d’analyse assez subtil pour arriver à démontrer que les appareils sensoriaux sont réellement ébranlés chez un malade qui affirme qu’il voit et qu’il entend, alors qu’aucun excitant extérieur ne paraît être à la portée de ses sens. La partie intellectuelle de l’hallucination