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tivé qui pendant les beaux jours d’été voyait se dérouler devant lui dans des hallucinations panoramiques l’histoire de la création du monde. On est frappé du contraste de ces hallucinations grandioses avec les images vulgaires qui assiègent la plupart des malades de nos asiles. Lorsqu’on hypnotise un certain nombre d’hystériques, on reconnaît bientôt que les jeunes filles les plus intelligentes et les mieux douées sous le rapport de l’imagination sont aussi les plus aptes à développer les hallucinations qu’on leur suggère ; l’hallucination une fois établie est comme un thème sur lequel elles brodent de la façon la plus pittoresque et la plus brillante.

Tous ces faits, auxquels on pourrait en ajouter beaucoup d’autres, prouvent jusqu’à l’évidence que les malades tirent de leur propre fonds la matière de leurs hallucinations ; c’est tantôt la mémoire, tantôt l’imagination qui fournit les principaux éléments.

On peut préciser davantage. Sous quelle forme l’esprit intervient-il dans la production des hallucinations ? De quelle étoffe est faite une apparition imaginaire ? Les anciens aliénistes se servaient d’un langage passablement obscur. Ils parlaient « d’idées reproduites par la mémoire, assemblées par l’imagination et personnifiées par l’habitude. » Les explications de ce genre-là ne compromettent personne ; il serait également difficile de démontrer qu’elles sont fausses ou qu’elles sont vraies. Les progrès de la psychologie nous permettent de substituer à ces expressions vagues un terme précis et technique, celui d’image. L’hallucination est formée par des images. La plupart des aliénistes contemporains sont d’accord sur ce point. Pour Delasiauve[1], l’hallucination est « une idée sensible susceptible, par la vivacité que lui communique une cause physique ou morale, de représenter pour la conscience la réalité objective. » Parchappe définit l’hallucination « un état de l’âme dans lequel de pures imaginations se reproduisent spontanément dans la conscience, avec tous les caractères qui appartiennent aux sensations actuelles. » Pour Brierre de Boismont, qui s’exprime plus nettement encore, « la représentation mentale est la base de l’hallucination ; elle existe chez tous les individus et peut, par l’attention et la volonté, s’élever jusqu’à la vivacité de l’impression. » Enfin Peisse s’est appesanti sur l’identité entre l’image évoquée par la mémoire et l’image réelle que l’œil perçoit. Quand la représentation est vive, stable, précise, dit-il en substance, elle acquiert le caractère de l’objectivité qui est le propre de la sensation, elle devient hallucination. L’opinion de Peisse et des autres aliénistes cités était loin d’être admise

  1. Annales médico-psychologiques, loc. cit.