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A. BINET. — l’hallucination

pendant ses accès de folie par des détonations d’armes à feu, le bruit des carreaux brisés par des balles, etc. Elle se sauve alors dans la campagne, espérant, en s’éloignant de Paris, se soustraire aux bruits qui la poursuivent. Depuis dix ans, six accès semblables ont eu lieu, et toujours les mêmes hallucinations se sont renouvelées dès le début du délire, — Andral avait été frappé au début de ses études médicales par la vue du cadavre d’un enfant à demi rongé par les vers. Le lendemain à son réveil, il revit tout à coup le cadavre de cet enfant. Il était bien là, dit-il, je sentais son odeur infecte. — Un général (Méhémet-Ali) qui un jour dans un combat avait été entraîné au milieu des ennemis éprouva plus tard une hallucination singulière. Tout à coup, au milieu du silence du palais, on l’entendait pousser de grands cris ; il se débattait avec effort comme un homme attaqué. C’était la scène du combat qui se représentait à sa vue. — Un individu, parcourant une rue de Londres par un brouillard épais, faillit être écrasé par une machine à vapeur ; devenu aliéné par suite de la frayeur qu’il éprouva, il voit encore dans ses hallucinations la lanterne de la machine qui a failli passer sur lui. — Une femme de cinquante-quatre ans qui avait eu plusieurs accès d’aliénation mentale est frappée à la tête par un pot de fleurs tombé d’une croisée ; quand la plaie est guérie, cette femme éprouve une hallucination des plus curieuses. Il lui semble tout à coup recevoir encore sur la tête le pot à fleurs, comme au jour où elle a été renversée. La douleur lui arrache un cri, et à peine elle a été frappée qu’elle entend bien distinctement le bruit du pot qui se brise sur le plancher. Elle reste un instant avec un tremblement général ; puis, quand elle est un peu remise, elle cherche autour d’elle les fragments du pot brisé et s’étonne de ne pas les trouver. — Une jeune fille voit le feu prendre à la maison de ses parents ; aussitôt elle est atteinte d’un délire furieux, voit le feu partout, croit brûler elle-même, et succombe au bout de quelques semaines ; son dernier cri est : « Au feu ! Au feu[1] ! »

Nous ne voulons pas passer en revue toutes les dispositions intellectuelles et morales qui exercent une influence sur la nature des hallucinations ; ce travail demanderait des volumes et ne nous apprendrait rien de bien nouveau. Notons encore, sans insister, la relation frappante qu’on trouve parfois entre les hallucinations des malades et leur degré d’intelligence et de culture. Falret nous à rapporté l’histoire d’un homme d’un âge mûr et d’un esprit très cul-

  1. Les faits cités sont empruntés pour la plupart au mémoire de Baillarger, sur les Hallucinations, in-4o. Paris, 1846