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folie religieuse, le malade’voit apparaître des anges, des saints et des diables ; l’histoire nous enseigne à ce sujet que la nature des apparitions religieuses varie avec les temps et les lieux, et se conforme toujours à la mythologie régnante. Dans le délire des persécutions, le malade est poursuivi par des voix qui l’injurient, qui le menacent, ou qui le renseignent sur les projets de ses prétendus persécuteurs. Enfin dans le délire érotique, il y a des hallucinations visuelles et génitales qui sont encore le reflet des préoccupations du malade.

On a également noté le rapport de l’hallucination avec la profession. Magnan en cite quelques exemples curieux chez des alcooliques. Un marchand des quatre-saisons voyait à terre autour de lui des choux-fleurs, de l’oseille, des radis qu’il s’efforçait de ne pas écraser sous ses pieds. Un conducteur de bestiaux stimulait son chien, voyait et appelait les bœufs et les moutons. Un gaveur de pigeons aux halles croyait tenir un pigeon entre les doigts et s’évertuait à lui faire avaler le grain. Une marchande de vins répondait à ses clients, les engageait à attendre, et se préparait à les servir. Un menuisier voyait retomber sur sa tête et sur son dos les planches qu’il essayait de charger sur sa voiture. Une fille publique avait des idées obscènes et voyait autour d’elle des scènes lubriques rappelant son triste métier[1].

A côté de la profession, il faut placer les souvenirs de la vie passée. Il est un grand nombre d’hallucinations qu’on pourrait appeler automatiques parce qu’elles consistent dans la reproduction de sensations antérieures qui ont laissé une empreinte profonde dans l’esprit des malades ; c’est un accident dramatique, un malheur qui leur est arrivé à leur entrée dans la vie et qui a été une des causes déterminantes de leur maladie ; ou bien encore, mais plus rarement, c’est le souvenir heureux d’un jour de fête ou d’un ancien amour. Ce genre d’hallucinations est fréquent dans la grande attaque hystérique[2] ; il forme à lui seul la troisième période de l’attaque (période des attitudes passionnelles). On en trouve également de nombreux exemples dans l’aliénation mentale. En voici quelquesuns : Une jeune fille de quinze ans rencontre dans un lieu désert un homme qui tente de lui faire violence ; devenue aliénée peu de temps après, elle ne cesse d’entendre la voix de cet homme qui la menace et cherche à l’intimider. — Une femme ayant vu son mari frappé d’une balle au milieu d’une émeute fut plus tard poursuivie

  1. Magnan, De l’alcoolisme, 1871, p. 38.
  2. Richer, Études cliniques sur l’hystéro-épilepsie.