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forme pathologique. Cet acte, quel est-il ? Pour le déterminer, il faut chercher à mettre en relief le caractère essentiel de l’hallucination. S’il y a quelque chose qui soit propre à cette manifestation pathologique, c’est bien de créer l’apparence d’un objet extérieur qui n’existe pas. Ce caractère-là ne fait jamais défaut dans une hallucination véritable ; il sépare nettement l’hallucination de quelques autres phénomènes qui s’en rapprochent par certains côtés, mais qui diffèrent de nature. Citons par exemple la mémoire. L’homme doué d’une bonne mémoire visuelle peut se former une idée aussi nette, colorée, saisissante de l’objet absent que l’halluciné de l’objet imaginaire. Mais le premier n’a pas, comme le second, la conviction que l’objet est là, posé devant lui, à une distance donnée de ses yeux et de ses mains, mêlé et confondu avec les objets réels. Le souvenir se localise dans le passé ; il ne se projette pas dans l’espace ; il ne produit pas l’apparence d’un objet extérieur et présent[1].

Mais il y a un acte qui possède en commun avec l’hallucination le caractère signalé : c’est la perception normale des objets extérieurs. Ce rapprochement s’impose ; car il n’y a pas un seul halluciné qui manque de l’indiquer. Interrogez-les sur ce qu’ils éprouvent ; ils vous répondront : « J’ai vu, j’ai entendu, j’ai senti. J’en suis aussi certain que je suis certain de vous voir et de vous entendre en ce moment. » Ce langage, que les médecins aliénistes entendent à satiété, est la preuve que pour les malades l’hallucination ne se distingue pas de la perception normale. Sans aller aussi loin, nous admettrons que l’hallucination est la forme pathologique de la perception. Tel sera le point de départ de notre étude.

Beaucoup d’aliénistes désignent couramment l’hallucination sous le nom de « fausse perception des sens » ; mais, qu’on ne s’y méprenne pas, leur thèse n’a rien de commun avec la nôtre, car, s’ils se servent de ce terme, c’est parce qu’ils confondent la perception proprement dite avec la sensation, quoique la pathologie se charge de faire la distinction en montrant que dans certains cas (cécité et surdité verbale des aphasiques, etc.) la sensation est conservée et la perception détruite. Afin d’éviter toute confusion à cet égard, nous commencerons par une définition.

On entend par perception sensorielle[2] le phénomène cérébral

  1. Nous n’imaginons pas ici des théories insoutenables pour le plaisir de les réfuter. L’assimilation de l’hallucination à un phénomène de mémoire a été faite par Fournié (Congrès médical de Londres, août 1881) et par plusieurs autres auteurs. Déjà Leuret s’était élevé contre ces assimilations forcées (Fragments psychol., 1884, pg|133).
  2. Perception sensorielle, ou perception externe, ou perception acquise, ou