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BERNARD PEREZ. — la logique de l’enfant

qu’en apparence. L’enfant a vu les porte-monnaie des divers membres de sa famille, il sait qu’ils contiennent des sommes assez rondes pendant les voyages ; mais il n’a aucune donnée pour supposer que le porte-monnaie de son oncle ne lui a pas révélé tous ses secrets. Il ignore qu’il y a des différences de position, etc. Si la conclusion de son raisonnement n’est pas réellement fausse, elle a plusieurs chances de l’être. Au point de vue de la logique enfantine, elle est vraie.

Encore deux exemples du même genre, qui ne paraîtront pas inutiles à ceux de nos lecteurs qui veulent ne rien négliger pour pénétrer les mystères de la pensée naissante. Un enfant de sept ans voit son père casser trois œufs et les placer dans un petit plat de fer-blanc. « Tu vas les faire cuire, dit-il à son père, et il n’y a pas de feu ! — Oui, je vais les faire cuire sans feu, tu vas voir. » Il charge sa lampe à alcool, qui sert tous les jours, sous les yeux de l’enfant, à tenir le café chaud ; il passe une allumette sur la mèche, et pose le plat sur la flamme. L’enfant était émerveillé de voir qu’on pût faire de la cuisine sans feu ni réchaud. Le père lui dit : « Tu ne sais donc pas, à ton âge, que la flamme, soit des bûches, soit de la lampe à huile ou de la lampe à alcool, soit de la bougie, c’est toujours du feu ? » Voici un dernier exemple présentant les apparences, mais rien que les apparences de notre correction logique. J’avais fait faire l’exercice à mes deux neveux armés de bâtons en guise de fusils. Vers cinq heures du soir, une volée de jeunes amis envahit le jardin. J’étais au premier étage, à demi penché pour les voir et les entendre. Mon jeune neveu m’aperçut et me cria : « Viens-nous donner une leçon de soldats. » Je m’excusai sur la grande chaleur qu’il faisait. « Mais non, me dit-il, il ne fait pas trop chaud. Allons, viens nous faire amuser. » Je refusai de nouveau. Après un silence de quelques secondes, l’enfant, convaincu et résigné, se tourna vers ses camarades et leur dit : « C’est qu’il a perdu l’habitude de faire l’exercice par la chaleur. » Raisonnement pauvrement conditionné : car il pouvait y avoir, à mon refus, et il y avait, d’autres raisons que celle de la chaleur excessive. Mais l’enfant les ignorait, et, à son point de vue, raisonnait juste.

Faute d’expériences assez nombreuses pour multiplier les hypothèses, tenir compte des exceptions, du diffèrent dans le semblable, en un mot, pour consolider les prémisses, pour conditionner les termes de leurs raisonnements, les enfants, de trois à six ou sept ans, montrent la même faiblesse dans leurs inférences morales. Les principes généraux pour nous ne les dirigent, dans ce domaine du bien